法语助手

La philosophie nous aide parce qu'elle réouvre les perspectives.

Il faut penser que la mort, c'est un départ,
et la difficulté de tout départ,
c'est de se dire au revoir
et de parvenir jusqu'à ce moment
où on a l'impression de s'être tout dit.

Et la difficulté avec les parents,
et par exemple avec sa mère, c'est qu'on n'aura jamais tout dit.

Donc toute la difficulté,
c'est de savoir s'accompagner autrement que en cherchant à tout dire.

Et ce qui est intéressant, c'est que,
par exemple, dans le grand âge, les personnes qui vieillissent,
peut-être en perdant certaines facultés cognitives,
vont nous amener à nous concentrer sur d'autres manières de communiquer.

On voit les personnes âgées
se concentrer sur des choses qui nous étonnent,
un rayon de soleil, une ombre, la chaleur de la purée
dans laquelle ils mettent les mains.

Et on les interprète souvent comme des attitudes régressives,
c'est-à-dire de retour à l'état du nourrisson.

Ce que j'essaye de montrer dans Parler avec sa mère,
c'est qu'en fait,
ce sont des territoires existentiels à explorer ensemble.

Et donc si, au lieu de déplorer sans cesse le vieillissement de nos aînés,
et d'être triste de ne plus reconnaître les personnes
et de se référer sans cesse au passé,
si au lieu d'avoir cette attitude que j'appelle le déclinisme,
on se contentre sur ce que les gens apprennent et nous montrent,
nous apprennent à apprendre,
eh bien en fait, on découvre de nouvelles zones.

De rencontre où on peut être ensemble d'une autre manière,
peut-être que la conversation sera moins intéressante,
mais la sensation d'être présent ensemble sera plus intense.

Le contre-exemple, c'est la personne qui rend visite à sa vieille maman
et qui, parce qu'elle s'ennuie dans la chambre,
sort son téléphone et fait autre chose.

Là, tu as tout perdu, ça veut dire que
tu perds ton temps parce que tu n'es pas au boulot,
où tu n'es pas en train de faire d'autres choses,
et en plus, tu n'es pas avec la personne que tu es censé visiter.

L'important, c'est que la perspective de la mort
nous aide à nous réinscrire dans un cycle plus vaste,
c'est-à-dire que la mort est consolante à plusieurs égards.

D'abord, elle nous rappelle que
nous sommes les relais d'une vie qui passe à travers nous.

Cette vie, c'est la vie d'une espèce,
l'espèce humaine, qui elle-même existe dans un milieu,
qui est donc la planète Terre,
et qui interagit avec d'autres éléments.

On vous le dit théoriquement et vous le comprenez.

Mais la réalité, c'est que lorsque la mort vient vous trouver,
que vous ne l'avez plus présente,
eh bien justement, elle va modifier l'ordre des priorités.

Il y a des choses qui vous semblent très importantes,
je veux dire ce qu'a dit Machine, ce qu'on a dit de vous, etc.

Des choses...secondaires en fait par rapport à l'ampleur de ce que
c'est que vivre et d'être le relais d'une vie de très grande échelle.

Dans les Ehpads et les maisons de retraite,
il y a une valorisation d'une vie qui continue,
mais la réalité des Ehpads où je travaille,
en fait, ce sont des personnes qui arrivent
de plus en plus âgées et qui sont dans une phase
où elles ont beaucoup envie de repos.

Et ce qui m'intéresse, moi, c'est de parler de dernier âge,
c'est-à-dire que notre capacité à vivre soit aussi une capacité à mourir,
c'est-à-dire qu'à un moment, on pivote et on considère que la perspective,
maintenant, c'est de se préparer à mourir.

Alors vous allez dire, mais non, c'est terrible, la mort, c'est affreux,
et moi je vous dis que la mort,
c'est un départ, et un départ, ça se prépare.

Préparer le corps à ce départ,
c'est à la fois considérer qu'on est prêt
à solder les comptes, des litiges, des malentendus,
des souffrances antérieures, d'une certaine manière,
à se les pardonner si on y arrive,
ou à les remettre sur le tapis pour ne pas les garder indéfiniment,
et aussi qu'on est capable de trouver une nouvelle manière
tout à fait inédite, d'être ensemble.

Même si, par exemple, cette maman-là,
elle n'a pas été très tendre, ce n'est pas été une maman tendre dans l'enfance,
même si ce papa-là, en fait, il a été absent,
oui, mais peut-être que vous, en tant que fils ou fille,
vous êtes capable d'être présent,
et de cette manière-là, il y a...

Il y a des possibilités en fait qui s'ouvrent dans le dernier âge,
qui redonnent leur dignité aux gens,
mais pas une dignité qui est fondée sur les normes de comportement adulte,
ça veut dire être toujours propre, être jolie à regarder,
se comporter de manière socialement acceptable.

Tout ça en fait on découvre que
ça n'a aucune importance et que derrière notre humanité,
notre dignité, ce qui se joue en fait,
c'est la qualité de nos interactions et une certaine,
ce que j'appelle, une certaine qualité de présence.

Et si on arrive à restaurer cette qualité de présence,
au fond, on peut se libérer de tout ce passé,
qu'il soit heureux ou malheureux,
qu'il inspire la nostalgie ou le ressentiment.

Et justement pivoter et se tourner vers la mort comme un projet.

Comme je l'ai dit, pas nécessairement
parce qu'on croit que derrière il va se passer d'autre chose,
mais simplement parce que nous savons tous que la mort,
c'est une séparation, cette séparation,
elle se vit sur le mode d'un départ,
et comme je l'ai dit, un départ, ça se prépare.

Vous parlez de départ au sujet de la mort,
départ, je comprends ce que vous dites,
mais le corps meurt, l'esprit meurt,
donc concrètement, il s'agit quand même bien d'une fin.

Le corps meurt, l'esprit meurt,
c'est par définition la fin de l'individu.

Donc ce qui est intéressant,
c'est qu'on n'est pas tenu de croire ou de ne pas croire
en une vie individuelle après la mort,
puisque nous sommes sûrs d'une chose,
c'est que l'individu, ça n'a de sens que dans ce monde-ci,
dans la réalité dont nous sommes les témoins en ce moment,
ça veut dire une réalité matérielle observable.

Ce qui est intéressant, c'est que lorsqu'on aborde l'humain en termes de système,
on s'aperçoit que cet individu-là,
il n'est que le relais de systèmes très complexes qui sont plus vastes que lui.

C'est comme un peu un ordinateur, si vous voulez.

L'ordinateur, une fois qu'il est bugué, une fois qu'il est cassé,
il est vraiment cassé, la machine est cassée,
par contre, s'il est relié à un système très vaste,
par exemple l'Internet,
le fait que cet ordinateur soit cassé ne fait pas s'effondrer tout l'Internet,
de la même manière, lorsqu'un individu humain meurt,
il est le relais d'énormément de choses et toutes ne meurent pas.

Tous nos départs,
toutes les fins, même cette vidéo en fait, elle va prendre fin,
eh bien en fait, là il y a un au revoir à faire.
Il y a quelque chose qui se termine.

Avoir conscience de ces fins-là, savoir honorer ce qui se referme,
être présent en fait à ces moments de clôture,
c'est une manière de se préparer à mourir

Comme justement étant un moment,
l'un des rendez-vous en fait par lesquels la vie
nous appelle à notre propre dignité,
c'est là qu'on fabrique de la valeur humaine.

Je résume ce que vous dites, si je comprends bien,
il y a une dimension dynamique de la vie,
c'est-à-dire que pour vous, il n'y a pas un début et une fin,
mais des débuts et des fins au sein même de la vie,
et par ailleurs, vous présentez une vision plus, disons, collective,
c'est-à-dire qu'on appartient à quelque chose qui nous dépasse,
une sorte d'humanité, quoi.

Est-ce que je résume bien les choses si je les présente comme ça ?

Exactement ça, très bien, très bien dit.

Les gens qui ont perdu un proche et qui regardent cette vidéo,
j'imagine qu'ils vont se dire,
ok, ça c'est un propos qui relève de l'intellect,
mais moi j'ai des émotions, je suis triste,
donc comment on fait par rapport à ça ?

Bien d'abord, il faut l'accepter,
c'est-à-dire que rien ne diminuera jamais l'émotivité du deuil,
ça veut dire un départ, c'est triste,
un au revoir, c'est triste, donc la 1ère chose,
c'est d'admettre cette tristesse.

dans un texte de Plutarque qui s'appelle Consolation à sa femme,
Plutarque et sa femme ont perdu leur petite fille de 3 ans,
Timoxena, elle portait le même nom que sa mère,
et ils l'adoraient tous les 2, et donc cette petite fille meurt à 3 ans,
et Plutarque...
attend plusieurs jours avant de pouvoir écrire lui-même
et d'écrire une très belle lettre à sa femme pour la consoler.

Mais dans cette lettre, il y a une évidence,
c'est que la tristesse, c'est la 1ère réaction et elle est adaptée,
parce que c'est par la tristesse aussi que l'on dit au revoir,
que l'on dit au revoir à Monsieur Au désir d'être ensemble,
que l'on dit au revoir aux joies qu'on a vécues ensemble,
et que progressivement on va apprendre très lentement
à convertir ce qui est de l'ordre de la tristesse
en quelque chose de tout aussi intense,
mais qui doit théoriquement l'absorber en entier,
c'est la gratitude, la gratitude de s'être reconnu,
la gratitude d'avoir fait un chemin ensemble,
la gratitude d'avoir été en vie ensemble,
pour que, progressivement cette mort et cette vie
se réinscrivent dans les cadres plus vastes que j'ai déjà décrits.

De cette manière-là, en fait, l'émotivité du deuil,
elle n'est pas niée, parce que la tristesse s'est adaptée.

Il y a des moments où la chose à faire, c'est d'être triste.

Puis...
Cette émotivité là,
elle va apprendre à se transformer pour ne pas rester victime d'elle-même,
et c'est de cette manière-là qu'elle est capable aussi d'alimenter la vie.

C'est-à-dire de réinscrire sa propre vie dans quelque chose qui nous relie,
dans des souvenirs qui nous rappellent le passé,
mais dans un passé qui est capable aussi de nourrir l'avenir.

C'est dans ces mouvements-là,
que se joue la beauté de notre existence.