法语助手
2024-12-16
Vous connaissez la différence entre un chewing-gum et un avion ?
On vous dira ça plus tard.
Ici, on va parler de "Tais-toi !",
la dixième réalisation de Francis Veber et trouver le lien bizarre
entre cette comédie d'action et la recette du bœuf bourguignon.
[♫ Musique générique ♫]
Nous sommes en 2003.
Jacques Chirac est président de la République.
Cyril Hanouna boit du pipi dans le Morning live,
Indochine remplit Bercy,
Maurice Pialat est mort et Carlos vend des radiateurs.
« Rothelec ! »
"Tais-toi !" raconte l'histoire de Quentin,
un braqueur gentil, mais un peu con...
[Bruit sourd] – Oh pardon !
La comédie est produite par UGC.
D'ailleurs, ça se voit parce qu'au tout début du film,
quand Quentin est poursuivi par la police,
il va se réfugier... à l'UGC.
Ils passent "Créance de sang", mais Quentin s'en fout,
il ne prend pas de ticket, pas de popcorn,
et se tape un fou rire devant "L'âge de glace".
Du coup, on s'est gouré.
En fait, on est à l'été 2002.
L'équipe de France a fait un four en Corée,
quelqu'un a essayé de tuer Jacques Chirac,
les jeunes dansent sur Las Ketchup
et Richard Virenque joue aux boules.
Bref, Quentin se fait choper et finit en prison.
On s'aperçoit alors que Quentin n'est pas simplement gentil et con,
il est aussi très lourd...
– Tu manges ?
– Non, je suis en train de chier.
[Rires]
Dans la mythologie de Francis Veber, réalisateur du film,
c'est ce qu'on appelle un EMMERDEUR.
L'emmerdeur apparaît au cinéma en 1973, dans le film du même nom d'Edouard Molinaro,
sur un scénario de ce cher Francis.
Jacques Brel incarne François Pignon,
le type lambda par excellence, ici représentant en chemises dépressif,
qui va faire de la vie de Lino Ventura un véritable enfer.
[Cris]
Plus tard, Francis Veber, devenu réalisateur,
reprend son personnage d'emmerdeur, qui devient sa marque de fabrique.
Il est toujours accompagné d'un souffre-douleur,
incarné dans les années 80 par Gérard Depardieu,
qui deviendra à son tour emmerdeur dans "Tais-toi !", vingt ans plus tard.
Mais on va y revenir...
Le souffre-douleur est indispensable à l'emmerdeur,
car chez Francis Veber,
la comédie ne consiste pas seulement à montrer quelqu'un
faire quelque chose de drôle, mais surtout à montrer quelqu'un
en train de regarder quelqu'un faire quelque chose de drôle...
– Tout le monde vous regarde, c'est fini ce cirque ?
Steve Kaplan, auteur de "L'écriture d'une comédie",
appelle ça le principe de : Comportement sérieux / Comportement troublé.
L'emmerdeur est le personnage qui ne se rend pas compte d'un problème
ou qui le crée lui-même sans le savoir...
– Ça va et vous ?
Il se met dans les situations les plus absurdes,
mais les vit totalement au premier degré...
– Ohhhh...
... Il ne fait pas exprès de s'enliser dans les sables mouvants
ou de s'asseoir sur la seule chaise cassée de la salle de réunion.
Il a un COMPORTEMENT SÉRIEUX.
– Parlez clairement docteur.
– D'accord... En clair, il est incroyablement con.
Face à lui, il y a le type raisonnable,
celui qui voit très bien le problème, fait tout ce qu'il peut pour lutter contre,
mais ne peut que constater les dégâts...
– Et voilà, on a les droits. Ouhhhh...
C'est le COMPORTEMENT TROUBLÉ.
Dans "La Chèvre", par exemple,
ce sont moins les chutes de Pierre Richard qui font rire
que les réactions troublées de Depardieu en contrechamp...
– Oh la la la...
Revenons à Depardieu, justement.
Comment, en une petite vingtaine d'années, est-il passé de ce rôle
de souffre-douleur à celui de son exact opposé,
Quentin de Montargis, l'emmerdeur ?
La réponse se trouve peut-être dans "Le Placard".
Depardieu incarne Santini,
un homophobe notoire qui, par peur de se faire licencier,
essaie de se lier d'amitié avec un employé prétendu homosexuel,
François Pignon...
– Tu manges des betteraves ?
Dans "Le Placard", il y a une inversion des rôles.
Ce n'est plus le petit homme de la foule qui crée la comédie,
mais bel et bien le mâle alpha interprété par Depardieu...
– Quand t'as un copain tout nu sous la douche et que tu lui savonnes le...
Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
Qu'est-ce qu'il y a ?!
Troublé dans ses certitudes...
– Tu veux pas habiter avec moi ?
... il va se faire de plus en plus envahissant.
– Hein ?
Dans "Tais-toi !", la mue de Depardieu est terminée.
Il incarne un véritable abruti, un emmerdeur de classe mondiale...
– Je m'appelle Quentin, je suis de Montargis.
– Je m'en fous.
Récapitulons.
Dans "La Chèvre", "Les Compères" et "Les Fugitifs",
Depardieu est le souffre-douleur de l'emmerdeur François Pignon,
incarné par Pierre Richard.
Puis dans "Le Placard", il rencontre un autre Pignon,
Daniel Auteuil, mais devient lui-même l'emmerdeur,
rôle qu'il endosse à nouveau dans "Tais-toi !".
Mais alors, si Depardieu est devenu l'emmerdeur,
qui, cette fois-ci, se fait emmerder ?
C'est là qu'intervient : JEAN RENO.
L'acteur est parfait pour le rôle
puisqu'il a eu son emmerdeur attitré en la personne de Christian Clavier
au début des années 90,
et qu'il formait déjà un tandem de comédie chez Francis Veber
avec Patrick Bruel dans "Le Jaguar".
Dans "Tais-toi !",
Jean Reno joue un malfrat qui veut se venger de l'assassin de sa femme.
Il rencontre Quentin en prison qui, persuadé d'avoir enfin trouvé un ami,
ne va plus le lâcher d'une semelle.
La brute impassible, d'abord indifférente,
va peu à peu perdre son sang-froid face à la tornade Depardieu.
Veber mobilise également l'imaginaire du Jean Reno GANGSTER.
Car Jean Reno n'est pas qu'un grand clown blanc.
Acteur fétiche de Luc Besson dans les années 80,
il sait super bien retenir sa respiration et a depuis connu
la renommée internationale en reprenant régulièrement son rôle
d'homme d'action impitoyable et mutique.
Dans "Tais-toi !", Veber joue à fond la carte du Reno badass,
et en profite pour tartiner sa comédie de BESSONADE...
« Si tu aimes les explosions, les belles nanas, les Chinois,
les blagues sur les Chinois, les Peugeot, les Audi et les Yamakasi...
Quand t'es dans la panade, prends de la "Bessonade" ! »
2002, c'est l'apogée pour Luc Besson.
Il enchaîne les succès au box office avec sa boîte de production EuropaCorp,
et prépare le troisième épisode de "Taxi".
Veber s'engouffre dans la brèche
et propose sa propre revisitation de l'imaginaire bessonnien :
méchants très très méchants,
poursuites en Land Rover dans les rues de Paris,
jeunes sauvageons, explosions et fusillades.
Jean Reno est donc très occupé dans le film.
Du coup, même flanqué d'un emmerdeur de compétition,
il se montre particulièrement résistant.
– Je peux lui dire n'importe quoi,
il me dit jamais « ta gueule », « merde » ou « arrête tes conneries »...
À de multiples reprises,
Depardieu pousse son partenaire à bout...
– Qu'est-ce que tu regardes là ?
... mais celui-ci garde son calme
et se contente de petites réponses désespérées.
– Tais-toi, tais-toi, tais-toi, tais-toi.
Il se trouve que la comédie française raffole d'un procédé,
qui consiste à conclure abruptement une séquence dialoguée
par un bon gros...
– Ta gueule !!
Vous ne l'aviez peut-être pas remarqué...
– Ta gueule, ta gueule.
... mais presque toutes les comédies françaises
y ont recours à un moment ou à un autre...
– Ta gueule !
– Ta gueule ! [x2]
– Ta gueule ! [x3]
– Ta gueule ! [x4]
– Ta gueule ! [x5]
– Ta gueule ! [x6]
– Ta gueule ! [x7]
– Ta gueule ! [x8]
– Ta gueule ! [x9]
– Ta gueule ! [x10]
– Ta gueule !!! [x11] – Oh !!!
Le « ta gueule » est aujourd'hui une sorte de martingale du rire...
– Ta gueule.
... qui peut surgir à n'importe quel moment...
– Ta gueule, ta gueule, ta gueule !
Pour réussir un bon « ta gueule »,
le principe c'est de laisser monter la pression,
comme dans une cocotte minute.
Prenez deux personnages, un très bavard, un peu agaçant…
– Je suis contente de t'avoir vu un petit peu.
... et un autre qui l'écoute.
– Alors tu veux toujours pas me dire pourquoi tu n'es revenu qu'une journée ?
... La tension monte, doucement...
– On peut se parler quand même...
... On attend que ça vienne...
– Toi t'es pas content de me voir ? ... Et là...
– Ta gueule !!!!
Ce principe de cocotte minute, Francis Veber en est un véritable maître
puisque c'est exactement la même mécanique
qui opère entre l'emmerdeur et son souffre-douleur.
Cette tension qui monte progressivement, et qui se relâche d'un seul coup.
– On arrive en bout de piste non ? – Merde !
Malheureusement, le « ta gueule » est trop souvent une manière de synthétiser
l'archétype de l'emmerdeur en une seule séquence...
– Ta gueule.
... comme si on voulait restituer la saveur du bœuf bourguignon
dans une pilule.
Francis Veber lui, ne mange pas de ce pain-là.
Avec "Tais-toi !",
il nous rappelle que la comédie n'est pas qu'une affaire de chimie.
Les ingrédients doivent être choisis avec soin,
mais surtout, le produit doit être traité dans le respect.
Une bonne situation demande à être mijotée longuement pour préserver
toutes les saveurs du rire à l'ancienne.
"Tais-toi !" sous des dehors de comédie policière à la sauce Besson,
ne dissimule pas longtemps sa vraie nature.
Pour le spectateur attentif, c'est une véritable leçon, une recette.
Celle d'un Depardieu longuement maturé, au fil des rôles et des années.
D'un Gégé aux petits oignons, farci au Reno et aux lardons,
cuit doucement dans son jus.
C'est une friandise, un régal. Que dis-je, c'est un régal ?
C'est une gourmandise.
Un délicieux bœuf bourguignon à la française.
[♫ Musique ♫]
Et sinon, ben un chewing gum ça colle, et un avion ça décolle.
[♪ Bruitage ♪]
– Je m'appelle Quentin, je suis de Montargis.
– Tu manges ?
– Non, je suis en train de chier.
[Rires]
– Elle est bonne celle-là.
[Rires]
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