法语助手

Cette femme, nos amis allemands la reconnaissent peut-être.

Elle fut la 1re présidente du Parlement européen
à être élue au suffrage universel.

C'était en 1979.

Elle s'appelle Simone Weil.

Pour les Français, c'est une icône, une institution à elle seule.

Incarnation d'une certaine forme d'élégance à la française,
avec son impeccable tailleur Chanel,
son chemisier cravate, son éternel chignon,
elle a joué, jusqu'à son décès en 2017,
un rôle important dans le débat public en France,
un peu à la façon d'une sage.

Il y a une raison à sa grande notoriété.

C'est elle qui, en 1974,
a défendu devant l'Assemblée nationale le projet de loi légalisant l'avortement.

A l'époque, on compte en France 300 000 à 400 000 avortements clandestins.

Les plus riches partent à l'étranger,
les autres se débrouillent.

Environ 300 femmes meurent chaque année.

Depuis quelques années, l'interdiction de l'avortement est au cœur du débat public.

En avril 1971, le Nouvel Observateur publie le Manifeste des 343.

343 Femmes très connues, comme Simone de Beauvoir,
Françoise Sagan, Catherine Deneuve,
Jeanne Moreau, déclarent avoir avorté.

En octobre 1972, une jeune Française de 16 ans,
Marie-Claire, comparaît au tribunal de Bobigny,
en banlieue parisienne, pour avoir avorté clandestinement après un viol.

Elle est défendue par Gisèle Halimi,
une avocate très engagée dans la lutte pour la libéralisation de l'avortement.

Marie-Claire est relaxée.

En février 1973, le Nouvel Observateur publie la liste de 331 médecins
qui déclarent avoir pratiqué l'avortement.

La société française est enflammée,
la controverse est devenue violente.

En 1974, Valéry Giscard d'Estaing est élu président de la République.

Il affiche clairement sa modernité,
veut faire évoluer la loi rapidement et confie le ministère de la Santé à Simone Veil.

Pourquoi elle ?

Simone Veil est une femme
et elle est une magistrate qui s'intéresse à ces questions depuis longtemps.

Elle s'attelle immédiatement à la tâche.

C'est donc un gouvernement de droite qui va proposer cette loi.

Mais ce gouvernement, à l'image de la droite française,
est profondément divisé sur ce débat.

Notons que Jacques Chirac, Premier ministre de l'époque,
n'est pas favorable à la libéralisation de l'avortement.

A la veille du débat, des députés demandent à Simon Veil de retirer son projet de loi
tant les troubles qu'il provoque sont grands.

Des manifestants anti-avortement distribuentdes tracts violents exhibant des cadavres de fœtus.

Des catholiques marchent vers l'Assemblée en récitant des prières.

Le 26 novembre 1974,
le débat parlementaire débute à l'Assemblée nationale.

Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme.

Je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes.

Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement.

Il suffit d'écouter les femmes.

C'est toujours un drame.

En ce mois de novembre 1974,
la France est secouée par une grande crise sociale.

Une heure après le début du débat,
les techniciens de la télé se mettent en grève.

Il y a donc très peu d'images de ces débats qui vont durer plusieurs jours
et verront quelque 74 orateurs se succéder.

Il ne s'épargneront aucun effort.

Voici quelques extraits sonores:

-"Meurtre."

-"Ces avortoirs, ces abattoirs."

-"Dégénérescence de la France."

-"Le permis légal de tuer."

-"Génocide des racisme nazi!"

Le comble est atteint lorsqu'un député de droite ose même lui demander
si elle accepterait de voir les embryons:

-"jetés au four crématoire".

Rappelons que Simone Veil est juive.

Elle est une rescapée des camps de concentration
où elle a perdu ses parents et son frère.

L'émotion est à son comble.

Tous les Français connaissent cette photo de Simone Veil,
la main sur les yeux.

Elle dira plus tard qu'elle ne pleurait pas,
que cette photo témoigne simplement de son immense fatigue.

Le vote a lieu le 29 novembre à 3h40 du matin.

Pour 284. Contre 189.

L'Assemblée nationale a adopté.

La loi est adoptée grâce aux voix de la gauche.

Parmi la majorité de droite, deux tiers des députés ont voté contre.

Ce débat a profondément marqué les Français.

À cause de son enjeu fondamental, évidemment,
mais aussi à cause de l'image de cette femme ministre
combattant seule face à une assemblée de 481 hommes et seulement 9 femmes.

À cause de la violence du débat, de la haine féroce des opposants à la loi,
de la grossièreté inimaginable des propos à son égard,
émanant le plus souvent des députés de son propre parti.

À cause de la façon dont toutes les femmes en France
ont vécu personnellement ce débat.

Voilà pourquoi Simone Veil est une personnalité pour laquelle
les Français ont éprouvé et éprouvent admiration et profond respect,
lesquels se manifesteront d'ailleurs à travers la décision du président Macron
de faire inhumer cette femme exceptionnelle au Panthéon,
lieu qui honore les grands hommes et les grandes femmes qui ont marqué l'histoire de la France.

Quant à l'avortement, ou plus exactement l'IVG,
interruption volontaire de grossesse,
il a été inscrit en mars 2024 au sein même de la Constitution,
la France devenant ainsi le 1er pays au monde
à garantir la liberté de recourir à l'avortement dans sa Constitution.