法语助手
2025-01-10
L'histoire que je vais vous raconter aujourd'hui fait froid dans le dos.
Elle a pour cadre le monument français le plus connu dans le monde : la Tour Eiffel.
En 1912, un tailleur parisien décide de s'y rendre pour tester un parachute de son invention.
Mais tout ne va pas se passer comme prévu.
Ce 4 février 1912, Henry François Reichelt arrive à 8 h au pied de la Tour Eiffel.
Le froid est mordant, le sol gelé.
Un temps à rester chez soi, surtout un dimanche matin.
Pourtant, quelques journalistes attendent déjà Reichelt,
l'homme qui a annoncé qu'il sauterait du premier étage de la Tour pour mettre à l'épreuve son invention :
un vêtement parachute.
Sûr de son coup, il a convoqué la presse.
Ils sont ainsi une petite trentaine à s'être déplacés pour assister à l'exploit ou au drame.
Peut-être d'ailleurs s'en trouve-t-il certains qui espèrent l'accident plus sensationnel,
plus vendeur.
Déjà vêtu de son prototype, voici donc Reichelt, accompagné par trois amis.
L'aéronaute Gaston Hervieu est lui aussi présent.
Et il l'accoste.
Il sait qu'en ce début du XXᵉ siècle,
où l'aviation motorisée progresse de jour en jour,
de record en record, l'invention d'un parachute léger ferait sensation et pourrait rapporter gros.
Mais il sait aussi, et mieux que d'autres, le risque auquel s'expose Reichelt.
Il n'a pas le droit à l'erreur.
En quelques mots amicaux, Hervieu cherche à le convaincre de renoncer.
Mais pour Reichelt, pas question de faire demi-tour.
"Vous allez voir comment mes 72 kilos et mon parachute vont donner à vos arguments le plus décisif des démentis !" rétorque-t-il à l'aéronaute de quatorze ans son aîné.
A Hervieu, la prudence, donc.
A Reichelt, l'audace des pionniers, la témérité des premières fois.
Première fois... Pas tout à fait.
Henry François n'en est pas à son coup d'essai.
Il s'est déjà élancé d'une dizaine de mètres de haut, atterrissant sur une botte de paille et...
il s'est brisé la jambe.
Mais cette tentative n'est pas de nature à le décourager.
Au contraire même, il en est sûr, pour que son invention fonctionne,
que la toile se déploie et prenne l'air,
il faut sauter de plus haut.
Et quel meilleur tremplin que la Tour Eiffel ?
Depuis sa construction, elle sert de laboratoire scientifique.
On y mène des observations météorologiques ou des expériences de physique.
C'est le cadre idéal pour tester son invention.
L'année précédente, déjà, Reichelt a jeté un mannequin du premier étage.
Une expérience peu concluante.
Cette fois-ci encore, la préfecture de police de Paris a autorisé l'expérience,
mais à condition que Reichelt utilise une fois de plus un mannequin.
Curieusement, les policiers présents le laissent s'approcher sans mannequin.
Cette tour, Reichelt l'a vue des centaines de fois.
Lui, né Heinrich Franz, en Autriche, est arrivé à Paris en 1900.
Il avait 22 ans.
La Tour en avait onze.
Construite en deux ans à l'occasion de l'exposition universelle de 1889,
la Tour Eiffel est encore en 1912 le monument le plus élevé du monde.
312 mètres de fer qui ont plus d'une fois fait lever les yeux du jeune Heinrich Franz.
Tailleur pour dames dans le nouveau quartier de l'Opéra,
Heinrich Franz est d'ailleurs devenu Henry François.
Il s'est fait Français, comme la Tour Eiffel, sa voisine.
Et aujourd'hui, l'un et l'autre se sont donnés rendez vous.
Mais au pied du pilier Ouest, les gardiens ne laissent pas monter Reichelt.
Ils n'ont pas été informés de son défi et préfèrent téléphoner à la direction pour qu'elle leur confirme que le saut est bien autorisé.
Les minutes passent.
Reichelt doit attendre.
Engoncé dans son costume, cet ample vêtement parachute en toile caoutchoutée qui a des allures de camisole de force.
L'inventeur est-il soudain saisi par le doute ?
Le froid engourdit-il ses ardeurs ?
Pensif, il réchauffe ses mains et laisse échapper de petits nuages blancs sous son épaisse moustache noire.
Il peut encore renoncer.
Mais plus le temps de tergiverser.
Voilà l'autorisation.
Si ça le chante de risquer sa peau, Reichelt peut bien sauter.
En silence, la foule observe la silhouette harnachée et malhabile qui s'engouffre dans l'escalier.
Une à une, il gravit les 360 marches qui le mènent au premier étage.
Au sol, on attend.
Quand soudain, dans l'embrasure d'une plateforme intermédiaire,
le voici qui paraît, saluant de la main en lançant à la cantonade :
"A bientôt !" Puis il disparaît de nouveau dans l'escalier.
Tous guettent désormais le parapet du premier étage où l'inventeur doit s'élancer.
Enfin, le voilà !
Debout, sur une simple table rehaussée d'une chaise en équilibre précaire.
Reichelt pose un premier pied sur le rebord,
sort de sa poche un morceau d'une feuille de journal et le jette devant lui.
Précaution dérisoire pour s'assurer que le vent sera son allié.
Puis, il jauge les 57 mètres de chute qui l'attendent.
Il est 8 h 22.
Le voici face au vide et face à son destin.
Dans son dos, ce vêtement parachute qu'il devra déployer en vol.
Une surface portante de 32 mètres carrés et le fera alors ressembler à une grosse chauve-souris,
si tout se passe bien...
Reichelt se remémore sûrement le testament qu'il a rédigé la veille.
Il y réclame qu'on verse à madame Louise Schillmann,
celle qu'il aime, une rente annuelle de 1500 francs.
Avant de conclure sur une note plus dramatique,
je le cite : "Excusez-moi de la douleur que je pourrais vous causer.
Envoyez mes vêtements à mon père ainsi que mes bijoux, ma bague et ma montre.
En vous embrassant bien sincèrement, Reichelt.
8 rue Gaillon.
C'est de ce 8 rue Gaillon, dans la cour de son immeuble,
que l'inventeur a lancé ses premiers mannequins.
Qu'il a mûri ce pari fou qui a aiguillonné des générations avant lui.
Voler, n'est-ce pas échapper à notre condition humaine ?
Et s'il était le premier à vaincre la pesanteur ?
Alors, après une longue hésitation, Henry François Reichelt plie les genoux et se jette en avant,
bras écartés.
Jamais sa chute n'a semblé le voir ralentir.
En trois secondes, tout est joué.
Icare pathétique, il s'écrase au sol dans un bruit sourd.
La foule se précipite, enjambe les cordages installés entre les piliers.
Les os en miettes, le front en sang.
Reichelt gît, sans vie.
Son cœur ne bat plus.
Peut-être a-t-il lâché d'une crise cardiaque avant même l'impact.
On emporte le corps en taxi à l'hôpital, où un médecin se contente de constater le décès.
La préfecture de police de Paris ne reconnaît pas l'expérience.
Elle parle d'un suicide.
Le préfet Louis Lépine, qui a lancé en 1920 le concours d'inventions qui porte son nom,
n'a pas goûté au laxisme de ses agents.
Il ne fallait pas laisser faire cet inventeur de pacotille.
Quelle chance avait-il d'atterrir sans mal au pied de la Dame de fer ?
Ne reste de cet hurluberlu qu'un trou mal dégrossi,
20 centimètres creusé au point d'impact dans une terre gelée que le temps comblera bientôt.
Mais le saut de Reichelt n'a pas été oublié,
notamment parce que des reporters des actualités Pathé ont filmé de haut en bas ce fait divers tragi-comique.
Et nous, qui connaissons la fin du film,
restons fascinés par ces images sans bien savoir s'il faut en rire ou en pleurer.
La Tour Eiffel en a depuis connu beaucoup d'autres.
Elle a été antenne radio, lieu de tournage et reste le troisième monument le plus visité de France avec presque 7 millions de visiteurs par an.
Beaucoup sont montés et monteront encore à ses étages,
à pied ou en ascenseur, mais jamais personne n'en est descendu aussi vite que Henry François Reichelt.
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