法语助手
2024-11-11
Hey, vous savez comment on voit qu'un sapin est en colère ?
Mais trêve de galéjades ! Dans cet épisode un peu particulier,
nous n'allons pas vous parler d'un film, mais d'un homme.
Mieux qu'un homme, un FRANÇAIS !
Et pas n'importe quel français... Un agent dévoué des services secrets
de notre chère patrie... L'illustre...
OSS 117 !
Nous sommes en 1949...
La guerre d'Indochine bat son plein,
Yves Montand ramasse des feuilles mortes à la pelle,
Marcel Cerdan meurt dans un accident d'avion,
et Simone de Beauvoir fait scandale avec Le Deuxième Sexe.
En 1949 donc,
le personnage d'OSS 117 naît sous la plume de Jean Alexandre Brochet,
alias Bruce... Jean Bruce.
Démarre alors une fantastique saga littéraire, qui s'étendra sur 265 romans
aux titres super durs à prononcer comme Bagarre au Gabon, Des pruneaux à Lugano,
Zizanie en Asie, Métamorphose à Formose ou...
Alerte.
Le succès est tel que l'agent secret va rapidement débarquer au cinéma !
Après un premier film réalisé par Jean Sacha en 1957,
Hubert Bonnisseur de la Bath va squatter les écrans français
tout au long des années 60 sous les traits de différents acteurs
qu'on connaît pas comme Kerwin Mathews...
— C'est moi !
... Frederick Stafford ou John Gavin.
Pas moins de cinq films sont produits en l'espace de cinq ans,
sous la direction de l'infatigable André Hunebelle qui mène en parallèle la Trilogie Fantômas.
— Je réussis toujours ce que j'entreprends.
Malheureusement, la concurrence est rude à l'orée des années 70,
et les médiocres aventures de l'agent 117 ne font plus le poids sur le marché de la couille
face au charisme d'un Delon ou à la truculence d'un Belmondo.
Hubert essuie un bide avec un dernier film au titre prémonitoire
avant de s'enfoncer mollement dans l'oubli.
Et puis, en 2006, OSS 117 renaît
devant la caméra de Michel Hazanavicius sur un script de Jean-François Halin,
l'un des auteurs originaux des Guignols de l'info.
Le rôle principal est confié à Jean Dujardin, grand spécialiste des personnages d'abrutis,
révélé par Un gars une fille et confirmé dans Brice de Nice...
— Mouahahahah !
Dans "Le Caire, nid d'espions", Hubert se rend en Egypte,
sous l'identité secrète de Lucien Bramard, représentant en gallinacés.
Il vient enquêter sur la disparition
d'un ancien partenaire, Jack Jefferson, alias OSS 283.
— Que se passe-t-il là-bas ? — Le bordel...
Accompagné par Larmina El Akmar Betouche, locale de l'étape,
Hubert va avoir fort affaire pour dénouer tout ce pataquès...
À première vue, on semble s'embarquer dans un film d'espionnage tout à fait classique,
dans l'esprit des premiers James Bond.
Les aventures de l'agent britannique,
tirées elles aussi de romans très stéréotypés, ont largement contribué à définir
les codes du genre au cinéma, en se déployant dans une série de films
à FORMULE.
D'un épisode à l'autre,
on retrouve systématiquement les mêmes gimmicks... un générique bigarré, un héros méga-classe,
des gadgets rigolos, des bagarres en costard
des méchants super vicieux et des belles pépées.
Les ressorts narratifs sont toujours les mêmes
et le spectateur, qui sait à quoi s'attendre, prend plaisir à découvrir
les subtilités de chaque variante, comme la galerie de personnages,
la destinations des missions
ou les dernières trouvailles de ce sacré zouave d'agent Q...
— Très astucieux et très utile aussi !
Par ailleurs, c'est assez naturel,
ce qui a du succès est rapidement copié. On a ainsi vu, dans la foulée de Dr. No,
apparaître de nombreux clones au cinéma ou à la télévision.
Bien que le registre dans lequel évolue la plupart de ces espions
ne soit pas particulièrement comique, ils sont tous dotés d'un certain sens
de l'humour et de l'autodérision.
— Non, mais franchement, si vous avez autre chose à faire,
faut pas vous gêner pour nous...
C'est aussi le cas d'Indiana Jones, qui n'est, quand on y pense,
rien d'autre qu'un James Bond avec un fouet et un chapeau...
OSS 117 est donc le digne héritier de cette grande famille d'espions
malicieux et trop bien sapés.
— Ce sera l'occasion de porter mon smoking en alpaga.
— Ce sera surtout l'occasion de rencontrer le gratin cairote.
Fidèle à sa lignée, il ne manque bien sûr jamais l'occasion de faire un bon mot...
— Et non pas le gratin de pommes de terre...
Toutefois, dans OSS 117, quelques scènes nous indiquent qu'Hubert Bonisseur de la Bath
n'est pas fait complètement du même bois que ses prédécesseurs.
— Qu'est-ce donc ?
Par exemple, on a peu de chances
de voir un jour James Bond jouer au jokari en slip
ou assassiner par mégarde une princesse égyptienne.
Par ce genre de séquences,
le film saute à pieds joints dans la PARODIE.
Cette forme comique, qu'on a déjà abordée dans plusieurs vidéos,
consiste à reproduire des œuvres existantes en choisissant certains de leurs éléments constitutifs
pour les exagérer, les détourner, les inverser.
Mais, avant de pouvoir ridiculiser sa cible, la parodie doit faire en sorte
que le spectateur l'identifie clairement.
Par exemple, pour apprécier pleinement "Scary Movie"
il vaut mieux savoir à quoi ressemble le tueur de "Scream".
La parodie doit donc en priorité s'attaquer à des films au style très démonstratif
ou comportant des scènes particulièrement mémorables,
que les spectateurs peuvent reconnaître immédiatement.
Buster Keaton, pionnier du genre, l'avait bien compris
avant de caricaturer l'imagerie très marquée du western
ou le style pompeux des grands blockbusters de l'époque.
On l'a dit, le film d'espionnage est un genre ultra-codifié.
C'est donc un terrain rêvé pour la parodie.
Ses personnages archétypaux, ses situations récurrentes,
ses motifs mille fois ressassés sont autant de repères
parfaitement identifiés par le public, que la comédie peut s'approprier
pour les tourner en ridicule.
À partir des années 60, on a donc vu fleurir des dizaines de parodies
à mesure que la saga James Bond précisait son style et ses codes.
— This is my machine, my bikini machine.
À l'image du Danois Freddy Hansen,
du Tchèque W4C ou du Japonais Andrew Hoshino,
la parodie d'espionnage n'a pas tardé à devenir une discipline internationale.
En revisitant la figure de James Bond,
chaque pays l'a enrichi de ses propres singularités cinématographiques,
donnant parfois naissance à des genres à part entière.
C'est le cas de l'Eurospy, dominé par des productions italiennes
souvent à mi-chemin entre parodie et pompage au premier degré.
On pense par exemple à "Operation Kid Brother", mené par Neil Connery, le frère de Sean,
vendu comme une comédie, mais ressemblant davantage à...
un film d'espionnage nul.
En France, Claude Chabrol s'amuse à transposer le mythe au féminin sous les traits de Marie Laforêt,
avant que Pierre Richard, Aldo Maccione ou les Charlots ne s'en emparent à leur tour.
Mais c'est bel et bien dans la patrie natale de James Bond
que l'on a pu voir le spécimen le plus littéral.
Et pour cause, en 1967, l'espion britannique se parodiait lui-même
dans une adaptation officielle de "Casino Royale", le tout premier roman de la série.
Le producteur Charles Feldman, qui ne possédait les droits que de ce seul épisode,
avait choisi de prendre le contrepied de la saga concurrente
en nous présentant un James Bond vieillissant et maladroit,
peu intéressé par les femmes, et opposé à un neveu perfide
incarné par Woody Allen.
— Jimmy Bond ?
— C'est encore une de tes farces idiotes !
À l'image du succès très relatif de ce Casino Royale
comparé aux scores de la saga officielle à l'époque,
il a longtemps semblé que les parodies d'espionnage resteraient toujours moins populaires
que ce dont elles se moquaient.
Et pourtant, à la fin des années 90, soit peu de temps avant la sortie d'OSS 117,
c'est en renouant avec cette vieille tradition que l'acteur et scénariste Mike Myers
va connaître un triomphe grâce à la trilogie "Austin Powers".
Dans le premier épisode, cet infaillible espion anglais
est congelé dans les années 60, puis réveillé trente ans plus tard
par les services secrets pour contrer les plans du terrible Dr Denfer,
son ennemi de toujours.
En plus de l'aspect parodique des gags se moquant des clichés des films d'espionnage,
cette intrigue basée sur un saut dans le temps,
à la manière d'"Hibernatus" ou "Demolition Man",
ajoute au film un décalage rétro, qui alimente un second niveau de comédie,
doublé d'un hommage à la culture pop des sixties.
C'est un peu la même chose qui se produit dans OSS 117,
sauf qu'ici, c'est le film entier qui semble décongelé.
On le remarque dès l'apparition du drôle de logo Gaumont
sur lequel s'ouvre le film. Esthétiquement, rien ne ressemble
à une comédie des années 2000. Non seulement l'intrigue se déroule en 1955,
mais le film, lui aussi, semble daté.
— Fonce Slimane, fonce !
L'utilisation des pellicules de l'époque, et le choix d'une palette chromatique
à dominante grise et marron, agrémentée de quelques touches
de couleurs saturées, rappelle le bon vieux temps du Technicolor.
Les mouvements de caméras se limitent à des zooms
et à des travellings très simples, tels qu'on les pratiquait
du temps des premiers James Bond, tandis que les cadrages se bornent
aux trois valeurs de plans les plus classiques :
plan moyen, plan américain, plan serré.
— Joli cocktail !
Même dispositif pour "Rio ne répond plus", le deuxième épisode censé se dérouler
une décennie plus tard, qui intègre ce léger saut dans le temps
en arborant une esthétique pop tout droit sortie des sixties.
— Habile.
Au-delà de leur aspect général, les deux films multiplient
les références directes au cinéma hollywoodien des années 50 et 60.
Dans "Le Caire Nid d'Espions", la chambre d'hôtel d'Hubert
ressemble à celle de James Bond dans "Dr No",
la poursuite en djellaba évoque "L'Homme qui en savait trop",
tandis que le feu d'artifice final rappelle une scène de "La Main au collet".
Dans "Rio ne répond plus",
au-delà de nouveaux clins d'œils appuyés au cinéma d'Hitchcock,
on reconnaît également les splits-screens de "L'Affaire Thomas Crown" et de "L'étrangleur de Boston",
mais surtout la scène de l'accident de trapèze de "L'Idole d'Acapulco",
dont les plans sont reproduits à l'identique, voire directement prélevés
dans la séquence originale.
Quant à ce superbe déguisement de Robin des Bois
il est difficile de ne pas y voir un hommage
au rôle le plus célèbre d'Erroll Flynn, lequel était déjà l'inspiration principale
de Jean Dujardin dans les séquences de plage du premier épisode,
à moins qu'il n'y ait glissé un soupçon du "Voleur de Bagdad" incarné par Douglas Fairbanks...
Mais ce petit jeu de piste pourrait durer des heures
et on est peut-être déjà allés un peu trop loin...
En réalité, les références en elles-mêmes sont assez anecdotiques.
(PEIGNOIR DE SEAN CONNERY)
Peu importe si elles ne sont pas toutes identifiables,
car le but est surtout de coller à l'idée générale que le spectateur
se fait du cinéma de l'époque.
En cela, les OSS 117 de Michel Hazanavicius s'écartent de la tradition parodique
pour une forme de comédie plus raffinée : un pastiche.
— Un postiche ?
Non, Hubert. Un PASTICHE.
De l'italien « pasticcio » qui veut dire « pâté »,
le pastiche au sens strict repose sur l'idée de mélange.
Il consiste donc non seulement à imiter un genre,
mais surtout à le confronter à un contexte inhabituel,
comme une sorte de remix cinématographique.
C'est par exemple la logique du western spaghetti, qui s'inspire du genre américain ultime
pour le passer à la moulinette de l'opéra et de l'iconographie catholique.
C'est aussi la démarche d'un Brian de Palma
qui confronte des motifs empruntés chez Hitchcock, Coppola ou Antonioni
à l'esthétique du cinéma bis des années 80.
À l'inverse de la parodie, le pastiche ne cherche pas à saboter ses références,
mais au contraire à les restituer fidèlement, pour mieux les mettre en perspective.
Comme le résume la critique Ramona Curry, « la parodie déconstruit, le pastiche reconstruit ».
Le matériau original ainsi reproduit est alors soumis à un regard neuf,
un second niveau de lecture.
Piocher allègrement dans les images des autres
pour raconter ses propres histoires, c'est très littéralement ce qu'avait fait
Michel Hazanavicius avec Dominique Mézerette
pour sa toute première œuvre cinématographique, "La Classe Américaine".
— C'est quoi, ça ?
Le principe : un montage virtuose de classiques de la Warner détournés et redoublés
de manière à former un nouveau récit, celui de Georges Abitbol,
l'homme le plus classe du monde.
— Bonjour.
C'est moi, Orson Welles. Vous voyez cette maison, là ?
Eh bien ce n'est pas du tout ici que vivent les auteurs de Calmos.
Je me permets d'interrompre cette vidéo parce qu'ils ont besoin de vous,
pour continuer à faire des épisodes
sans trop taper dans le budget patates.
Si vous saviez le temps que ces deux mecs passent sur leurs petites vidéos
avant de les balancer gratos...
Sans pub Nord VPN...
J'appelle ça du bénévolat.
C'est pourquoi je vous encourage
à faire un don sur leur page Tipeee dont le lien se trouve en description.
Allez voir !
Ce serait vraiment sympa.
[Coup de feu] Oh, Calmos !
— Bon, et à part ça ?
Euh, à part ça... Michel Hazanavicius,
puisque c'est de lui qu'on parlait, a aussi réalisé des films pour le cinéma,
dans lesquels il maintient cette logique d'emprunt
initiée avec "La Classe américaine". Dans "Le Redoutable", par exemple,
il reprend le style des premiers Godard pour raconter la vie du cinéaste.
Dans "The Search", il s'inspire de quelques classiques
pour filmer la guerre de Tchétchénie. Quant à "Mes Amis",
sa première réalisation en 1999, elle était déjà une occasion de détourner
l'imagerie des sitcoms à la française.
— Vous savez pas ce qui m'arrive ?
— Je sais pas, t'as perdu au loto ? [Rires en boîte]
Enfin, avec "The Artist", hommage à l'âge d'or du cinéma muet américain,
l'imitation soignée des films de l'époque sera récompensée par cinq Oscars.
Au lieu de désamorcer les codes du genre, Hazanavicius préfère leur faire honneur,
en les restituant tels quels. Ainsi, pour OSS 117,
il reproduit les scènes d'action avec soin, chorégraphiant une bagarre
comme on le faisait en 62, en grossissant à peine le trait.
Même approche pour les scènes en voiture, tournées en studio, selon la technique
de la transparence, comme au bon vieux temps. Dans une parodie, on se serait amusé,
par exemple, à altérer l'image projetée ou à laisser les véhicules se conduire tout seuls,
mais là, non, aucune vanne,
si ce n'est ce petit trait de fumée étrangement vertical
ou quelques coups de volants un poil exagérés.
Pas besoin d'en faire plus. Et ceci pour une raison simple :
à nos yeux de spectateurs modernes, le genre dont OSS 117 s'inspire
est déjà ridicule. C'est là tout l'intérêt du pastiche
par rapport à la parodie. Quand la parodie détourne,
le pastiche se contente de révéler. Avec quelques décennies de recul,
ce qui était jadis tout à fait banal devient soudain grotesque,
qu'il s'agisse d'une mise en scène un peu outrancière,
d'accessoires passés de mode ou d'expressions désuètes.
— Ah oui, c'est cocasse !
Depuis notre siège de spectateurs du XXIe siècle,
le simple fait de voir évoluer des personnages
dans cet univers suranné nous amuse naturellement.
— J'ai appelé cela des enregistroscopes.
La comédie porte donc à la fois sur le genre imité
mais aussi sur l'époque, que le film nous invite à regarder
un peu en biais avec un mélange de tendresse et de dérision.
— Technologie américaine.
Au même titre que les vieux films d'espionnage ringards,
les années 50 ne sont pas drôles en soi,
elles le deviennent, au SECOND DEGRÉ.
Tout comme "Austin Powers",
"OSS 117" est donc à la fois le pastiche d'un genre et d'une époque.
Cependant, quelque chose différencie nettement Hubert de son prédécesseur.
Car OSS 117 n'est pas qu'un espion, c'est un espion FRANÇAIS.
Et par conséquent, ce n'est pas seulement un genre
ou une époque qui est pastichée à travers la saga,
mais également une image d'Epinal, celle de la France d'après-guerre.
— Bonjour, bonjour ! — Ah, bonjour De la Bath !
Dans les livres de Jean Bruce, OSS 117 était un espion américain,
employé par l'OSS donc, Office of Strategic Services,
qui n'est autre que l'ancêtre de la CIA.
— Écoutez, Smith, je voudrais bien comprendre !
Tandis que le Hubert des romans
n'avait que de vagues origines françaises, Hazanavicius en fait un Gaulois 100% pur beurre
œuvrant pour la cause d'une organisation bien de chez nous...
— Comment est votre blanquette ? — La blanquette est bonne.
Résultat, Hubert est un cliché ambulant :
il porte le tricot de peau à merveille, il ne manque jamais une occasion de râler...
— Mais il va la fermer, sa gueule ?!
... il possède un goût prononcé pour les liqueurs de montagne...
— Une Suze !
... et tient d'ailleurs la gastronomie pour son principal champ de référence.
— Comment s'appelle cette guitare en forme de gros tourteau fromager ?
Cette caricature, pleine d'autodérision, renvoie à une certaine tradition humoristique française
dont le principe est de brocarder les patriotes à la fierté mal placée.
On pense au personnage de Superdupont,
imaginé en bande dessinée par Jacques Lob et Marcel Gotlib au début des années 70.
En transposant à la France l'imagerie des comics américains,
ils donnent vie à un super-héros ultra beauf, prêt à tout pour défendre les valeurs tricolores,
distribuant baguettes et camemberts entre deux torgnoles.
À l'image de son cousin moustachu, OSS 117 est une incarnation de la France...
— Et pas n'importe laquelle ! La France du Général de Gaulle.
Fervent colonialiste, Hubert est également misogyne,
homophobe et raciste.
— Alors, les ânes partout, les djellabas, l'écriture illisible... Ça va...
En somme, de nos jours, il passerait pour un authentique trouduc.
Or, tandis que Superdupont relève de la parodie appuyée,
la caractérisation d'Hubert est plus subtile.
Comme pour l'esthétique générale du film, qui se confond avec celle de l'époque,
le personnage pourrait, aux yeux d'un spectateur du siècle dernier,
passer pour un héros français tout à fait commun.
Et pour cause, les propos désinvoltes d'Hubert étaient déjà présents au premier degré
dans les romans de Jean Bruce ainsi que dans les premières adaptations cinématographiques.
— Plusieurs cas de peste aux Indes... — Surpopulation, hygiène relative...
Y a-t-il là quelque chose de tellement exceptionnel ?
D'ailleurs, si l'OSS 117 version Hazanavicius a hérité des défauts de ses ancêtres,
il en possède également toutes les qualités.
— Ah bon ?
Il plaît aux filles, il sait se battre (et il aime ça),
il est adroit au tir, peut esquiver avec élégance
plusieurs rafales de balles, et dispose de facultés d'apprentissage fulgurantes,
qu'il s'agisse du mambo, de la langue arabe ou du déchiffrement des hiéroglyphes.
— Comment vous avez fait ça ? — Je couds.
A première vue, il n'y a donc pas de différence fondamentale
entre l'OSS 117 incarné par Dujardin et celui des films sérieux des années 60.
— Mais comment ça peut être de l'humour si ce n'est pas rigolo ?
Excellente question Hubert ! Pour fonctionner ici, la comédie doit discrètement
mettre en évidence son caractère satirique. Il s'agit de nous inviter, sans nous le dire,
à regarder au SECOND DEGRÉ.
Le second degré c'est ce qui différencie une petite tape sur les fesses dans un James Bond
des sorties misogynes de Jean Dujardin dans "OSS".
— Vous êtes la secrétaire de qui alors ?
Alors qu'il s'agissait, dans le premier cas, de glorifier la virilité du héros,
l'idée, dans le second, est au contraire de le faire passer pour un énorme beauf.
— Et l'idée est que nous travaillions ensemble, d'égal à égal.
— On en reparlera quand il faudra porter quelque chose de lourd.
À la première lecture de la scène
s'est donc ajouté un message secondaire, dissimulé par les auteurs,
et qu'il revient aux spectateurs de décoder. Ce processus est bien connu en littérature.
Le linguiste Umberto Eco, dans son ouvrage "Lector in Fabula",
appelle ça la COOPÉRATION INTERPRÉTATIVE.
Pour lui, « un texte est un tissu d'espaces blancs,
d'interstices à remplir. Un texte veut laisser au lecteur
l'initiative interprétative ».
— Plaît-il ?
En clair, l'auteur confie au lecteur une mission,
celle d'interpréter par ses propres moyens le message qu'on lui transmet.
C'est la même chose dans une comédie, qui repose, elle aussi,
sur un contrat tacite entre le film et son public.
Elle aussi, a besoin que le spectateur comprenne les intentions de l'auteur
sans qu'elles soient exprimées frontalement. Car, comme chacun sait,
il ne faut jamais essayer d'expliquer une blague...
— Non parce que ça ressemble à carotte, cairote...
Le légume…
Le problème avec un sens caché
c'est que, par définition, il n'est pas forcément évident à saisir
pour tout le monde... Ainsi, dans les années 80,
Jean-Marie Le Pen avait repris à son compte la figure de Superdupont pour revendiquer,
au premier degré, un nationalisme décomplexé.
— Ça a pas l'air très rigolo votre humour !
Mais au-delà des questions
de récupération politique, il est possible, en toute bonne foi,
de passer à côté d'une blague, en prenant au sérieux des propos
qui se veulent ironiques. Sur Internet, on tombe alors
dans la #TeamPremierDegré. Toutefois, dans ce genre de cas...
— Lit couchette !
... c'est bien souvent l'émetteur qui est fautif.
Le second degré ne se laisse pas
facilement manipuler, et à vouloir être trop subtil,
on s'expose parfois au risque d'être mal compris.
— J'ai pas bien compris si s'était grossier exprès ou si y avait une astuce...
— Ben, c'est du deuxième degré, hein... — Ah, c'est pour ça alors.
Pour un auteur de comédie, toute la difficulté du second degré
consiste donc à dissimuler le vrai sens du message
tout en donnant suffisamment d'indices pour que le public puisse le comprendre.
Pour éviter les malentendus, Michel Hazanavicius et Jean-François Halin
s'appuient sur plusieurs procédés. D'abord, le film explicite son point de vue
assez clairement, via les personnages secondaires.
Chaque dérapage d'OSS 117 est immédiatement sanctionné
d'un contrechamp réprobateur ou d'un silence gêné,
quand il n'est pas fermement remis à sa place.
— Vous êtes imbu de vous même, supérieur,
parfois à la limite du racisme, vous vous habillez mal, vous êtes infantile,
vous n'êtes pas drôle. Je m'arrête là ?
Dans ces moments-là, Hubert est pris à défaut et réduit à une posture infantile.
— Je me rends bien compte que j'ai été... — Antisémite ?
— Non !
Ces humiliations répétées permettent
de soigneusement discréditer le personnage, tout en continuant à le rendre attachant...
— Bonne nuit les gars !
L'effet est renforcé
par le jeu de Jean Dujardin qui, d'une seconde à l'autre,
fait passer son personnage de la posture élégante du héros james-bondien
au regard bovin de l'idiot du village.
— Grâce à vous j'ai vraiment appris une chose...
Le mambo !
C'est par ce subtil mouvement de balancier entre la classe et la lose
que le personnage gagne l'empathie du spectateur...
— Ne perdons pas de temps avec ces bêtises !
... car OSS 117 est d'autant plus drôle qu'il est prétentieux.
— Ça va Lucien ? — Ça va !
Cela rejoint une idée théorisée par le philosophe Léon Dumont
à la fin du 19e siècle dans son ouvrage "Des causes du rire" :
« Nous rions chaque fois que nous voyons un individu se croire capable
de faire une chose et ne pouvoir y réussir.
Quelqu'un veut sauter un fossé, et tombe dedans ;
ce qui fait rire ici, ce n'est pas le fait de tomber dans l'eau,
c'est celui d'avoir eu la prétention de franchir le fossé. »
Rien n'est plus drôle que la défaite quand elle sanctionne l'arrogance.
Aveuglé par son sentiment de supériorité, OSS 117 perd le sens des réalités.
Même quand le combat est perdu d'avance, il se croit incapable d'échouer,
ce qui rend ses gestes d'autant plus dérisoires.
— Évidemment, c'est un arc de bébé !
Enfin, si cet innommable crétin
nous apparaît tout de même assez sympathique, c'est que, non content d'être au service
de la France, il en est une personnification.
— Merci !
OSS 117 est la France faite homme. Il la résume, dans toutes ses contradictions.
— Mais enfin, Armand, le Général de Gaulle
n'a-t-il pas dit que toute la France avait été résistante ?
— En effet, il l'a dit...
Les aventures d'OSS 117 déclenchent une forme
de catharsis chez le spectateur français, conscient que cette France des années 50,
à la fois arrogante et immature, appartient à son histoire,
fait partie de lui...
— I am French.
Contrairement aux caricatures de Français dans les comédies américaines,
qui renvoient une image extérieure dans laquelle on peut peiner à se reconnaître,
OSS 117 nous tend un miroir, déformant certes, mais malgré tout honnête.
— Tout ça ne me plait guère.
En résumé, OSS 117 est l'incarnation de l'esprit français
dans tout ce qu'il a de plus paradoxal.
Assis sur le souvenir confus d'une gloire passée,
il est aussi un éloge de la défaite.
— Bonne nuit à vous aussi !
Car telle était la France dans laquelle Hazanavicius a grandi.
La patrie du Minitel et de Raymond Poulidor, celle qui sort le Brésil pour échouer en demies.
Celle qui aimerait faire la leçon au monde entier,
mais peine encore et toujours à regarder son histoire en face.
— Serpent, je ne mange pas de ce pain-là !
Ici réside toute l'ironie du personnage interprété par Dujardin.
Fanfaron ridicule, et néanmoins brillant.
C'est l'histoire d'un coq insolent, honteux de réaliser qu'il n'est,
au fond, rien de plus...
— Cot, cot, cot !!!
... qu'un gros poulet.
Ah ! Et... le sapin en colère ?
Ben, il a les boules...
Les boules de Noël.
— Ça m'est venu comme ça !
Tout d'un coup je me suis souvenu que je m'appelais Noël
et alors là, c'est sorti tout seul... Bim ! Les boules de Noël !
En plus je crois même que je lui ai montré mon bazar en même temps...
Ha ha ha ha ha !
Voilà !
C'est pour ça, je me suis dit : ça, c'est pour Armand !
Bon...
Armand, je vous laisse, il y a un nazi dans la salle...
Ah ben non !
C'est Heinrich, c'est mon ami.
Je vous rappelle.
Au revoir !
沙发还没有被抢走,赶紧过来坐会吧