法语助手
2024-06-10
J'ai mis beaucoup de temps
à me mettre en colère et à assumer cette émotion.
Je pense que ça m'a pris des années
et quand j'ai commencé à comprendre que
j'avais cette émotion en moi
et qu'elle n'était pas si inintéressante ou si délétère
mais qu'elle pouvait au contraire être un moteur
pour lutter contre des frustrations, parfois de la tristesse, des questionnements,
que c'était un moteur vital, une énergie créatrice,
alors je me suis dit qu'il fallait absolument
enquêter sur la colère en général,
celle des autres, et montrer ce potentiel énergique.
Pourquoi cette émotion tout de même noble et indispensable
est ainsi discréditée, méprisée, rejetée ?
Elle l'est aussi bien dans la philosophie,
dans les religions, mais aussi finalement,
dans notre espace médiatique et social.
Elle cause beaucoup d'embarras
quand on la voit affichée dans toute sa pureté
et parfois son agressivité à la télévision,
dans la rue ou dans une scène intime.
Un ami qui se mettrait en colère
fait immédiatement peur mais mal à l'aise.
Je me suis demandé pourquoi.
Et c'est vrai que j'ai mené l'enquête
aux racines de la philosophie occidentale
dans le rationalisme porté par Socrate, Platon ou encore les stoïciens.
Et pour eux, en effet, la colère est une émotion
qui peut avoir parfois sa place
mais qui doit être très solidement tenue,
éclairée et cadrée par la raison,
voire chez le stoïcien et tout de même,
pour Sénèque notamment,
une émotion assez hideuse, effrayante
et qui doit tout simplement être neutralisée.
Je pense qu'il y a là un discrédit jeté sur le corps,
et ça c'est un parti pris idéologique en philosophie,
qui considère que tout ce qui vient de la chair ne pense pas.
Et puis il peut y avoir un a priori également genré et social.
C'est-à-dire que chez les Grecs,
y compris chez Socrate ou Platon,
ceux qui se mettent en colère,
surtout s'ils viennent du peuple,
donc d'une classe sociale plutôt ignorante menée
par ses appétits ou ses désirs,
n'est pas une colère très intelligente, éclairée ou saine.
Alors que la colère d'un sage ou d'un guerrier,
est un peu plus valorisé.
Je pense qu'il y a là un discrédit de nature sociale, genrée,
que j'ai voulu déconstruire et démêler dans le livre.
Est-ce que finalement le problème,
ce n'est pas que les dominants, quelque part,
qui utilisent leur cerveau peut-être plus que leur corps,
ont peur d'être confrontés aux dominés
qui se mettraient en colère et qui du coup,
avec la force physique, les mettraient en danger ?
C'est une question intéressante.
Je pense qu'en effet,
on ne veut pas voir que le corps pense quand il réagit.
C'est-à-dire qu'une expression verbale ou physique de colère
est tout de même une expression d'une compréhension,
c'est-à-dire que le peuple qui se met en colère,
des gens en lutte qui se mettent en colère en criant
dans une manifestation et parfois en brutalisant le paysage urbain,
sont parfois des gens
qui ont pourtant compris quelque chose,
compris une injustice,
qui la vivent dans leur corps tous les jours,
qui ne la supportent plus,
qui se sentent opprimés
et qui l'expriment par ces gestes.
Peut-être qu'en effet l'élite
comprend très bien tout cela
mais a peur de ces manifestations physiques de rage, de colère.
Et donc jette le discrédit en effet
sur ces manifestations gestuelles, physiques,
de la part de ceux qui luttent,
c'est tout à fait possible.
Mais peut-être que, tout simplement,
ils ne ressentent pas dans leur corps l'oppression,
la frustration et le désespoir quotidiennement.
Et donc, ils ne peuvent pas comprendre ce que vivent ces corps.
Ils ne peuvent simplement que théoriser,
et du point de vue de la raison qui réfléchit, théorise, conceptualise,
on peut très bien se contenter de parler, de débattre,
plutôt que de s'énerver dans une rue.
Ils n'ont pas tort,
mais quand on vit la frustration et la souffrance,
on n'a pas le temps de se poser
pour étudier, lire, verbaliser, articuler, réfléchir.
On n'a pas le temps ni la patience et le désespoir
peut conduire à mener des actions physiques.
Après, vous parlez de colère,
mais la colère peut aussi dériver en violence.
C'est peut-être aussi pour ça que la colère fait peur.
Je pense que la colère fait peur
quand elle vient de la part des catégories dominées,
parce que la colère est une arme de lutte.
C'est quelque chose de finalement très banal
qu'on a vu dans des luttes comme pour l'émancipation,
les droits civiques, contre la ségrégation raciale, le droit des femmes.
La colère est une émotion, un affect,
une arme politique pour renverser un rapport de force,
pour dire non, pour résister,
pour ne pas se contenter de subir en silence.
Et donc c'est une arme qui fait peur
à ceux et à celles qui bénéficient de privilèges,
bénéficient d'un ordre dominant qui leur convient,
voire qui les enrichit, les nourrit.
C'est une arme qui fait peur à ces gens-là.
Et donc, en toute, comment dire ?
Tout naturellement,
ils cherchent à jeter le discrédit sur cette émotion
pour dire qu'elle est irrationnelle, irréfléchie,
que les gens qui sont en colère vont forcément dérailler
et ne comprennent pas les intérêts de la nation, du bien commun.
Et ça je pense que ce sont des stratégies de discrédit complètement
illégitimes et injustifiées contre lesquelles il faut lutter.
Et je dis que oui,
il faut savoir entendre le premier palier qui est la colère.
La colère est, et ça on le dit aussi en neurobiologie,
une expression qui vise à réguler les rapports sociaux.
Quand on se met en colère,
on manifeste à l'autre qu'il va trop loin,
qu'il abuse une situation ou de son pouvoir
et on cherche à remettre de la distance,
à réguler les rapports.
La colère est un régulateur
dans les relations intimes et sociales,
il faut absolument savoir l'entendre,
le recevoir, en faire quelque chose,
pour éviter que le désespoir
ne mène alors à des paliers plus violents
qui seront nuisibles à tous et à toutes.
Mais vous n'avez pas l'impression,
aujourd'hui en France en tout cas, qu'en permanence,
les gens expriment une colère tous les jours.
Et qu'en fait, quand on est extérieur à cette colère,
quand on la constate et qu'on la vit, c'est pesant.
Oui, effectivement, je pense que les gens sont de plus en plus,
pas simplement en colère, mais dans la peur,
dans la frustration, dans une forme de tristesse aussi,
et que la colère est parfois
un moyen de ne pas s'effondrer complètement et de lutter.
Il y a différents types de colère
qui sont en train de se jouer en ce moment,
c'est très compliqué d'avoir un discours
visant à les lisser, à les prendre d'un même tenant.
Mais il faut prendre conscience que
certaines personnes essayent de lutter contre
leur tristesse et leur désespoir.
Je pense par exemple à beaucoup de Gilets jaunes
dont maintenant on a des documents, des archives et des témoignages
qui étaient des gens qui cherchaient à lutter contre cette tristesse,
cette précarité, cette frustration
et qui cherchaient à renouer du lien,
des liens solidaires, des liens de joie sur les ronds-points
et qui utilisaient la colère
comme une arme non pas de destruction et de chaos,
mais de lutte, de revendication articulée, de joie.
Et à ce moment-là, on peut comprendre
qu'ils utilisent ce médium, ce vecteur,
plutôt que le silence, l'inertie, la passivité.
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