法语助手
2024-06-04
Les films sont-ils plus longs qu'avant ?
Oppenheimer.
Dune.
Killers of the Flower Moon.
Ces trois récents succès au cinéma alimentent cette question indémodable qui anime les discussions.
On vous a posé la question et vos 2300 réponses étaient assez unanimes.
Beaucoup partagent cette impression et parfois le regrettent.
Alors, cette question n'est pas nouvelle,
plusieurs médias se sont déjà penchés sur les statistiques.
Ce qu'il faut en retenir,
c'est une légère et lente augmentation globale de quelques minutes en 60 ans,
pas assez significative pour qu'on la remarque.
Et puis, des films longs, il y en avait déjà dans les années 60.
Alors, hallucination collective ?
Pas vraiment.
On s'est intéressé au top 10 du box-office sur les 60 dernières années,
les films ayant fait le plus d'entrées dans les salles françaises depuis 1964.
La hausse ici est un peu plus nette,
de l'ordre d'une douzaine de minutes.
Et si on resserre la sélection au top 5, la hausse est d'environ un quart d'heure.
Ce serait donc les blockbusters, les films à gros budget qui seraient plus longs qu'avant.
Des films calibrés pour toucher le maximum de public.
Ce qui est un peu nouveau, c'est l'augmentation des budgets marketing.
C'est-à-dire qu'au côté d'un budget de production qui devient extrêmement conséquent,
on a un budget marketing qui est équivalent parfois, ou en tout cas très proche,
qui peut parfois effectivement dépasser même les budgets de production.
Quand on est sur des investissements de 400 ou 450 millions de dollars,
il faut les rentabiliser.
Et donc pour rentabiliser, on événementialise.
Événementialiser ou créer de l'attente autour d'un film,
ça passe par une couverture de presse importante,
des photos de tournage qui fuitent,
du merchandising, des happenings, mais pas seulement.
La durée, ça va être un argument dans l'économie de la rareté,
un argument qui permet de singulariser le film comme produit
au milieu de tous les autres produits culturels qui sont proposés en sortie chaque semaine.
L'opinion a donc tendance à se concentrer sur les films les plus vus,
les plus marketés, ceux qui restent le plus en tête.
A la pointe de l'iceberg, on trouve les grosses franchises comme Marvel
qui propose des films d'en moyenne 2h12.
Même tendance pour les James Bond,
d'environ 1h40 pour les premiers à 2h43 pour le dernier,
et les Disney, 1h15 pour ceux des années 50 contre autour d'1h40 70 ans plus tard.
La Petite Sirène version 2023 par exemple, c'est 2h15 contre 1h23 pour l'original.
Alors pourquoi les films à grande audience tendent à s'allonger ?
Alors qu'on a aujourd'hui à peu près toutes disponibles à la maison,
il faut donner envie aux spectateurs de faire le déplacement en salle.
Plusieurs stratégies pour ça, un univers visuel singulier,
un travail du son poussé ou des effets spéciaux
qui prennent toutes leurs valeurs sur grand écran.
Et quand on regarde la hausse du prix du ticket,
la longueur donne l'impression d'en avoir pour son argent.
Vous avez sans doute déjà entendu la fameuse question,
est-ce que ça vaut le coup d'aller le voir ?
Pour d'une, deux, il y a des spectateurs et spectatrices
qui ont payé plus de 23 euros leur ticket d'entrée
pour le voir en IMAX ou en Dolby.
Si c'est pour voir un film de 62 minutes,
je dis ça avec tout le respect possible pour Quentin Dupieux,
voilà, les investisseurs vont prendre le risque d'un sentiment d'avoir payé peut-être pour pas assez.
À tort certainement, mais cette corrélation existe.
Un film long, c'est en principe une œuvre
où le réalisateur a pu avoir le final cut face au producteur.
Or, le rapport de force producteur versus réalisateur a changé.
Pas tant grâce à l'émergence des plateformes
qui seraient un nouveau débouché pour les cinéastes,
que grâce au marketing des films qui met en avant l'importance du réel.
Qui devient lui-même un argument marketing.
Mon nom est important pour le projet
et conditionne le succès et les entrées que va réaliser le film.
Donc, si je veux que le film fasse 2h45 ou 3h10,
le film fera 2h45 ou 3h10.
Culturellement, la longueur reste un signe a priori de qualité.
C'est la marque d'un réalisateur qui a un propos, une vision du monde à développer.
Tu vois, dans ce monde,
il y a deux types de gens, mon ami.
Et ça depuis la politique des auteurs, en tout cas en France.
La politique des auteurs, c'est un courant théorique,
initié par François Truffaut dans les cahiers du cinéma,
qui contribue à mettre l'auteur ou le réalisateur sur un piédestal.
Aux Etats-Unis, c'est un peu différent, les producteurs ont historiquement plus de poids.
Un des défenseurs de la longueur, c'est Andrei Tarkovski.
Le cinéaste russe théorise son rapport à la temporalité dans ce livre.
Il écrit que le temps est la matière première du cinéaste,
qui doit imprimer la réalité du temps sur une pellicule de celluloïdes.
Tarkovski explique qu'il sculpte des blocs de temps pour retranscrire la durée réelle de l'action.
C'est ce qui explique que ces plans sont généralement très longs,
parfois plus de 4 minutes.
Stalker par exemple, c'est 150 plans en 160 minutes de film.
Maintenant, est-ce que c'est si grave si les films sont plus longs ?
Le constat est souvent fait de façon négative.
Pourquoi est-ce qu'en fait, on a cet avis négatif ?
Parce que ça vient redoubler,
ça vient rencontrer un autre discours sur la marchandisation du cinéma.
C'est-à-dire qu'en général, la tendance à observer une augmentation de la longueur des films.
En fait, elle dénote un discours latent sur le cinéma
qui serait en train de quitter le champ de l'art
et qui deviendrait un produit culturel,
qui serait soumis aux lois du marché, etc.
Ce n'est pas faux, mais ce n'est pas nouveau.
Aucun bon film n'est trop long, et aucun mauvais film n'est assez court.
Cette phrase d'un critique américain fait allusion au fait que,
le temps étant subjectif, la longueur n'est pas le problème.
La clé, c'est le rythme.
C'est ce qui explique que les 3h du parrain filent à toute vitesse,
ou qu'on a toujours du plaisir à rester 3h15 devant un film
où on sait très bien que le bateau va couler à la fin.
Mais en étudiant vos réponses,
forcer de constater que proposer des films trop longs
conduir tout de même à braquer certains spectateurs
à une époque où le temps d'attention moyen décline.
Il y en a un qui a compris ça, c'est Quentin Dupieux.
En vrai, avant tout, c'est pour ne pas m'ennuyer moi-même
que je fais des films courts.
C'est tellement simple de tourner du gras,
de se faire plaisir, de faire une séquence musicale qui sert à rien,
de faire des scènes pour faire des scènes.
Je suis content si ça dure trois heures, mais que c'est brillant.
Mais par contre, si ça dure trois heures et que c'est pas brillant, je me sens volé.
On m'a volé mon temps, en fait.
Dans la même veine, Alejandro González Iñárritu a, lui,
accepté de couper 22 minutes de son film Bardot
entre la première projection et la sortie officielle.
Plus court ne requiert pas forcément moins d'efforts et de perfectionnisme.
Blaise Pascal expliquait ironiquement dans une lettre en 1656:
Je n'ai fait cette lettre plus longue que parce que je n'ai pas eu le loisir de la faire plus courte.
Pour finir, l'industrie du cinéma peut envisager d'offrir des moyens aux spectateurs
de s'approprier la temporalité d'une œuvre.
On vous laisse sur une piste de réflexion donnée par James Cameron,
pas exactement un chantre de la concision avec ses 2h28 de durée moyenne.
Le Canadien lançait en 2021 l'hypothèse d'un film en double version et double durée.
J'aimerais faire un film de 6 heures
et 2h30 à la même heure, le même film.
Et vous pouvez le streamer pendant 6 heures,
ou vous pouvez aller avoir une version
plus condensée et immersive de cette expérience dans un cinéma.
C'est le même film.
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