法语助手
2024-04-07
Je vais vous demander de prendre cet iPad à vos côtés
et de regarder la première photo.
LeBron James.
Ce qui est extraordinaire avec cette photo,
c'est qu'on voit des milliers de gens qui,
au lieu de regarder le spectacle, le filment.
Pourquoi le filment-ils ?
C'est un moment extraordinaire, c'est un moment unique,
puisque c'est le moment où il va devenir le plus grand marqueur de la NBA.
C'est un moment historique qu'on se prive de vivre,
tout au désir que nous sommes de l'avoir vécu.
Les gens qui filment ce moment,
ils sacrifient l'expérience qu'ils pourraient faire de ce moment historique à la possibilité de dire qu'ils étaient là.
Il y a deux enjeux dans cette histoire.
Il y a mettre le monde à distance, en le filmant, c'est-à-dire se tenir loin de lui,
et il y a aussi confier à des objets le soin de s'en souvenir à ma place.
C'est aussi la raison pour laquelle on filme.
C'est-à-dire qu'on filme les choses pour être certain non pas de ne pas les oublier,
mais pour être certain de pouvoir les oublier puisqu'elles seront quelque part.
Le résultat, c'est un déni du présent.
Parce que l'intention, c'est de garder cet événement dans le passé,
dans la mémoire, donc de le filmer pour cette raison-là,
et dans le même temps de le voir via son téléphone et donc de le mettre à distance.
Donc ils sont privés de vivre la chose par le goût de s'en souvenir.
Sur cette photo, on aperçoit une personne qui ne filme pas la scène,
Phil Knight, le fondateur de Nike, qui a un certain âge.
Qu'est-ce que ça veut dire, justement,
le fait que lui ne filme pas cette scène avec un téléphone portable,
pour vous ?
Il y a deux façons de le regarder, celui-là.
Soit on se dit: c'est un homme démodé, or du coup, loin de tout.
C'est un vieillard qui ne sait même pas qu'on peut filmer ces choses-là,
qui ne profite pas de la possibilité de filmer et d'immortaliser ce moment-là.
Donc, soit on le regarde comme ça,
soit on le regarde comme le seul homme âgé
au milieu d'un troupeau de spectateurs ivres qui sont convaincus de vivre la chose
alors qu'ils ont interposé leur téléphone portable entre eux-mêmes et le spectacle.
Il y a vraiment deux façons de le regarder.
Et ces deux façons de le regarder correspondent,
je crois, à l'ambivalence de celui qu'on a appelé l'homme démodé.
Qu'est-ce que c'est un homme démodé ?
C'est quelqu'un qui, par ses comportements,
par ses attachements, par ses goûts,
par son obstination ou par son mauvais caractère,
peut-être parfois, refuse de céder au mode du présent.
Mais celui à qui on reproche d'être dépassé,
c'est aussi celui qui dans la conscience collective se voit parfois doté, nanti d'un savoir particulier,
d'une façon de voir qui n'a pas encore été altérée par ces outils modernes et qui donc parfois peut avoir la bonne idée.
Alors, on l'a vu avec ce match de basket, on le voit souvent lors des concerts.
Aujourd'hui, beaucoup de gens filment les choses plutôt que de les vivre complètement.
Mais en parallèle, il y a des pratiques comme la méditation,
la sophrologie, le yoga qui connaissent un vrai succès
alors qu'elles consistent justement à être connectées à soi-même dans le moment présent.
Qu'est-ce que ça dit de notre époque ?
La coexistence entre des individus qui filment un basketteur
et un nombre conséquent d'individus qui justement se lancent dans la sophrologie, dans la méditation...
Et adorent qu'on les prenne en photo tandis qu'ils se livrent à des exercices de sophrologie
montrant par là même qu'ils sont loin d'avoir guéri du mal dont ils veulent sortir.
Quiconque a l'habitude avec son téléphone portable de mettre le réel à distance peut tout à fait être celui qui de temps en temps pose son portable,
l'éteint ou le met sur mode avion pour soudain renouer avec la vie vraiment vécue dans des exercices dont c'est l'unique raison d'être.
Dans le cas des images, dans le cas des selfies,
dans le cas de l'utilisation que nous faisons de nos smartphones,
la philosophie permet de comprendre que le sens de la vue.
C'est celui qui suppose d'être à distance et qui donc nous éloigne du monde,
tout en nous donnant la capacité de le regarder dans son ensemble.
Et qu'en somme, un appareil photo ou un smartphone, un smartphone, ne fonctionne pas autrement.
Il nous donne le sentiment de capturer quelque chose alors que c'est précisément le moment où on ne la touche pas.
Montaigne, dans les Essais, à la toute fin des Essais, le dernier chapitre,
résume en une formule toute la sagesse dont il est capable.
C'est l'homme le plus sage de tous les temps, Montagne.
Eh bien toute sa sagesse tient en deux tautologies.
Quand je danse, je danse,
et quand je dors, je dors.
Autrement dit, je suis tout à moi-même quand j'agis.
Et c'est exactement ce qu'on ne fait pas quand,
alors qu'on va voir un match de basket,
on préfère filmer le panier plutôt que le regarder et l'applaudir.
Il est plus difficile dans la vie de vivre les choses que de se filmer en train de les vivre.
La vraie difficulté dans la vie, c'est l'étonnante simplicité qu'il faut avoir pour vivre ce qu'on vit,
pour danser quand on danse, pour dormir quand on dort,
pour réfléchir quand on pense, etc.
C'est-à-dire pour être le contemporain de soi-même.
Et le grand paradoxe, c'est que pour être le contemporain de soi-même,
il ne faut pas se regarder soi-même.
Si vous vous regardez faire, si vous vous demandez ce que vous êtes en train de faire,
vous perdez la main sur ce que vous faites.
En fait, l'expression clé pour qualifier celui qui est capable de ne pas se regarder faire au moment où il fait,
c'est la naissance de soi.
C'est le contraire de la conscience de soi.
La conscience de soi, c'est le pianiste qui se dit qu'est-ce que je suis en train de faire là ?
C'est le virtuose qui du coup fait une fausse note parce qu'il se regarde.
C'est le funambule qui tombe parce qu'il se demande ce qu'il est en train de faire sur son fil entre deux immeubles.
La conscience de soi, c'est l'érection qui disparaît parce qu'on se demande si elle va tenir, c'est...
Tout ce qui est de l'ordre de la conscience de soi est un handicap à l'action.
Alors que ce que saint Augustin appelle,
et Vladimir Jankélévitch après lui,
la naissance de soi, c'est-à-dire l'oubli du moi dans l'action,
c'est aussi ce qui nous permet d'agir.
La naissance de soi, c'est le fait de ne pas se regarder faire.
C'est le fait d'être tout entier à ce que nous faisons, plutôt qu'à la personne de celui qui fait.
沙发还没有被抢走,赶紧过来坐会吧