法语助手
2025-11-04
Dites, vous savez quel animal peut prédire l'avenir ? 
On vous dit ça dans un futur proche... 
En attendant, on va se pencher sur "Les Visiteurs", le neuvième film de Jean-Marie Poiré, 
et tenter de voir comment la comédie voyage dans le temps. 
Ah, et pendant que vous y êtes, soyez chics, 
suivez l'exemple de Godefroy... 
— Sire, je suis votre éternel abonné. 
Nous sommes en... euh... 
— En l'an de grâce 1123. 
Ouais, voilà. 
La première guerre provençale éclate entre le comte de Barcelone et le comte de Toulouse, 
Héloïse d'Argenteuil envoie des sex poèmes à son gadjo Abélard, 
la mode est à la coupe au bol, 
et le mathématicien Omar Khayyam galère sur les équations cubiques. 
"Les Visiteurs", c'est l'histoire du comte Godefroy de Montmirail, 
un vaillant chevalier qui sauve la vie de son roi en escapitant un soldat anglois. 
— Que trépasse si je faiblis ! 
En récompense, Godefroy est autorisé à épousailler sa promise, Frénégonde de Pouilles. 
— Le comte de Montmirail est à vue ! 
Mais, drogué par une sorcière capturée sur le chemin des noces, 
il gâche un peu la fête en décochant une vilaine fléchasse à son futur beau-père, 
qu'il a pris pour un ours. 
— J'ai vu une grosse bête. 
À ce stade, les costumes soignés et la musique épique 
ne trahissent pas encore totalement le genre du film. 
À part quelques détails un peu grotesques, 
on s'inscrit typiquement dans le style des grosses productions moyenâgeuses de l'époque. 
Mais, pas pour très longtemps, car Godefroy fait appel à un vieux mage un peu timbré 
qui lui concocte une potion censé le renvoyer dans le passé, 
quelques instants avant son mauvais coup d'arbalesterie. 
— Ils sont partis dans les couloirs du temps ! 
Manque de bol, une erreur dans la recette propulse en fait le comte 
et son fidèle écuyer Jacquouille dans le sens inverse de la flèche du temps. 
Nous voilà alors dans le présent, ou en tout cas celui du tournage du film : 1992. 
Les Gipsy Kings inaugurent le parc Euro Disney, 
Marie-Josée Pérec est championne olympique, 
la mode est à la coupe au bol, 
et la petite Odeline chante Hervé Vilard sur Canal+. 
— Peut-être une future Vanessa Paradis ! 
Les Visiteurs, c'est donc l'histoire du chevalier de Montmirail et de son serviteur, 
échoués, plus de huit siècles après leur ère, au pays de la Poste et des Courtepaille. 
— Je hume de la bonne pitance ! 
Ah oui, d'ailleurs... 
Pour compléter le financement du film, la production a eu recours 
à une pratique encore peu commune à l'époque : le PLACEMENT DE PRODUIT. 
Une bonne quinzaine de marques, plus ou moins exposées 
en échange d'un plus ou moins gros chèque, et parfois même citées dans les dialogues. 
— Mais non, c'est pas votre limo, c'est ma nouvelle Range ! 
Un moyen astucieux de soutenir l'ambition du projet, toute la difficulté étant bien sûr 
de trouver le moment approprié pour placer tel ou tel sponsor... 
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Mais revenons à Godefroy et Jacquouille, étendus sur le sol beaucoup moins douillet 
de la forêt de Montmirail, après un bond dans le temps de 869 années. 
Nos deux héros se trouvent ainsi confrontés à un thème incontournable de la science-fiction, 
le VOYAGE TEMPOREL. 
Si le concept nous paraît aujourd'hui parfaitement naturel, 
il n'apparaît véritablement dans la culture populaire qu'au 19e siècle avec le célèbre roman d'HG Wells, 
qui inspirera bon nombre d'auteurs de SF, 
avant de trouver, avec le cinéma, l'écrin parfait pour s'exprimer pleinement. 
Ben oui, au fond, le principe même de découper des images, 
de les accélérer, les ralentir ou les mélanger, permet naturellement de voyager par le récit 
à travers le futur ou le passé. 
Par un simple effet de montage, le cinéma peut en un instant 
replonger un personnage dans ses années de jeunesse, 
ou au contraire opérer un saut vers le futur de plusieurs semaines, 
voire, pourquoi pas, de plusieurs millions d'années. 
— Évidemment, avec des moyens pareils, moi aussi j'y arrive ! 
De la même manière, le voyage dans le temps, le vrai, peut se faire dans plusieurs sens. 
Pour Wells, qui prolongeait la logique des romans d'anticipation, 
il s'agissait d'abord de se projeter vers l'avenir, 
en imaginant jusqu'où les problématiques du monde actuel pouvaient dériver. 
— Excusez-moi, vous savez où se trouve l'avenue de Wagram ? 
Les films qui suivent ce modèle propulsent ainsi leurs personnages 
dans des futurs plus ou moins sombres 
impliquant capitales ensablées, abêtissement général de la population 
ou disparition définitive du concept de PQ. 
À l'inverse, le voyage dans le temps peut aussi se faire à rebours. 
Un bond en arrière d'une trentaine d'années donne généralement l'occasion 
de se retourner sur sa jeunesse, tandis qu'un saut plus long 
invite à revisiter l'Histoire avec un grand H, tout en s'exposant au tracas qui l'accompagnent. 
— Oh les cons !  C'est une caméra cachée, c'est ça ? 
Dans les deux cas, il est souvent question de corriger des erreurs, 
de remettre de l'ordre dans le passé pour rectifier le présent. 
— Tu crois ? — Mais bien sûr, c'est évident ! 
On nous a envoyés ici pour aider nos ancêtres à se reproduire ! 
Et puis, il arrive aussi que notre présent ne soit pas le point de départ 
mais au contraire la destination. 
Quand les protagonistes viennent du futur, ils ont souvent de mauvaises nouvelles à annoncer, 
du type désastre écologique, pandémie dévastatrice, 
ou inéluctable prise du pouvoir par les machines. 
— Sarah Connor ? — Yes ? 
Quand au contraire ils viennent du passé, 
c'est plutôt leur méconnaissance du monde contemporain 
qui devient le moteur du film 
et met en perspective notre quotidien par leur regard candide. 
— Ah, cette armoire contient quelques onguents ! 
Le temps plus ou moins long de leur mise à niveau 
est alors souvent propice à de bonnes grosses marrades. 
C'est en tout cas ce qui se passe avec "Les Visiteurs", 
qui, avant d'être un film d'époque, d'aventure et de science-fiction 
est donc, bien évidemment, une COMÉDIE. 
— Eh dis donc eh, c'est mardi gras ? Vous êtes déguisés comme au carnaval ! 
Nos deux héros viennent de si loin dans le passé que leur découverte de la France des années 90 
s'apparente à l'exploration d'une nouvelle planète. 
On a ainsi affaire à une variante d'un schéma très courant en fiction, 
le POISSON HORS DE L'EAU. 
Dans les films qui suivent ce schéma, le personnage est arraché à son environnement naturel 
et plongé dans un milieu qui lui est complètement étranger. 
Ignorant tout des codes de son nouvel écosystème, 
le poisson hors de l'eau va fatalement se comporter de manière étrange, 
commettre des impairs et créer des situations gênantes, 
voire de véritables catastrophes. 
Le voyageur du temps est le poisson hors de l'eau par excellence 
car la confrontation de son mode de vie avec celui de son époque de destination 
est propice au choc culturel. 
C'est d'ailleurs tout le thème d'"Hibernatus", grand classique du genre. 
Alors que leur ancêtre cryogénisé depuis 65 ans vient de se réveiller, 
toute une famille décide de lui cacher la situation 
en reconstituant le décor de son époque. 
(Comme dans Goodbye Lenin, d'ailleurs.) 
— Si nous lui apprenions à quelle époque nous sommes, subitement, d'un seul coup... 
— Ça le tuerait. 
Dans "Les Visiteurs", nos deux compères n'ont pas cette chance 
et sont donc frappés de plein fouet par le monde moderne. 
— Pouah, ça puire ! 
Des routes recouvertes de matières inconnues, 
des charriottes du diable toutes ferrées sans bœufs pour tirer, 
d'étrange détritus retrouvés dans la nature, 
nos deux héros sont plongés dans le grand bain en moins de quelques minutes 
sans aucun moyen de comprendre le monde qui les entoure. 
— À quelle famille appartient cet écu ? 
C'est là le caractère fondamental de ces poissons échappés de leur époque. 
Arrivé à destination, le voyageur temporel connaît une nouvelle naissance. 
Comme un enfant, il a tout à apprendre du monde, 
qu'il essaie d'abord d'explorer par lui-même 
avant, en général, de trouver quelqu'un  pour le guider. 
— Quel est ce prodige ? — Ben c'est ma montre, quoi. 
La comédie peut alors s'insinuer dans l'espace entre ce que nous savons du monde 
et ce que le voyageur découvre naïvement une expérience après l'autre. 
— Ah, une fine pièce de métal incandescente enfermée dans un flacon. 
C'est l'œuvre d'un forgeron émérite ! 
Bon, tout ça est bien rigolo mais il faut quand même dire 
que les récits de voyage dans le temps  ont une faille. 
Dès qu'on creuse un peu, il finit toujours par y avoir quelque chose 
qui ne tient pas tout à fait la route. 
On débouche alors sur ce qu'on appelle des PARADOXES TEMPORELS. 
Généralement, pour éviter aux spectateur de se faire de gros nœuds au cerveau 
en tentant de les résoudre, les scénaristes  préfèrent éluder la question 
ou botter en touche en suggérant que... ben c'est comme ça que ça marche et pas autrement. 
— Vraiment ? — Ouais. 
Je sais que le temps, c'est un truc un peu élastique, 
j'y connais rien, mais bon, ok, je peux imaginer... 
Mais dans "Les Visiteurs", Jean-Marie Poiré choisit d'aborder le problème frontalement 
pour en tirer une scène de comédie. 
— Mais c'est la bague du Hardi ! Tu l'as piquée au château ?! 
Le paradoxe, fondé sur la présence à deux endroits d'un objet unique, 
n'a pas beaucoup d'importance et sera résolu par un grand boum, 
mais l'incohérence aura suffi à créer une situation d'urgence 
qui permet de mieux révéler le caractère de chacun. 
— Vous aussi, vous avez eu la foudre ? — Attendez ! 
Regardez le toit de la voiture, on dirait un chou fleur ! 
On retrouve ainsi, dans la plus pure tradition française, 
une comédie portée par ses personnages. 
De l'écuyer crasseux à son descendant snob et maniérée, 
de l'assistante pète-sec au PDG contrarié, 
de la catho bon chic bon genre à la clocharde super vulgaire, 
chaque rôle correspond à un archétype fort qui va pouvoir rentrer en conflit avec les autres. 
— Non mais oh !! 
Christian Clavier, co-scénariste du film en plus de tenir deux des rôles principaux, 
prouve donc une nouvelle fois, comme on l'a vu dans notre vidéo sur "Les Bronzés" 
qu'il est l'un des meilleurs spécialistes de la COMÉDIE DE CARACTÈRES. 
Au fil de ses collaborations avec Jean-Marie Poiré, 
il n'a fait qu'approfondir ce genre bien spécifique 
guidé par l'opposition de personnalités incompatibles. 
— Non mais qu'est-ce qu'elle me dit la mongolienne, là ? — Tête de rat ! 
Qu'elle confronte bourgeois et parias dans les locaux de SOS Amitié 
ou qu'elle réunisse à la campagne une bande d'ancien rebelles 
ayant pris des chemins de vie différents, 
la comédie de caractères oppose des conceptions antagonistes du monde, 
et esquisse par la même occasion  une peinture cinglante de la société. 
— Messieurs, messieurs... — Tiens-le ! Tiens-le ! 
Tiens s*l*pe, de la part du gouvernement ! 
La démarche est la même avec "Les Visiteurs", qui s'appuie sur une galerie de personnages très marqués, 
mais l'intrigue fantastique ajoute  une dimension supplémentaire. 
Au-delà de la confrontation des archétypes, 
c'est aussi la confrontation des époques qui est en jeu. 
— Montjoie ! Saint-Denis ! 
Dans ce contexte, en plus du duo principal, 
un troisième personnage va prendre une importance particulière... 
— J'ai un doute affreux, je me demande si en fin de compte, ce romanichel n'est pas de ma famille... 
Pensant avoir reconnu son cousin Hubert, 
Béatrice de Montmirail prend nos deux compères sous son aile 
et joue, sans le savoir, le rôle d'intermédiaire entre les générations. 
À l'image de Jo dans "Les Rois mages" ou Miss Kensington dans "Austin Powers", 
c'est elle qui prend la charge d'introduire  Godefroy et Jacquouille à notre modernité. 
— Eau chaude, eau froide ! 
Par la même occasion, c'est également elle qui offre le principal contrechamp de comédie 
aux comportement étranges de ces deux gros poissons 
échoués très loin de leur bocal. 
— Monsieur Jacquouille, je vous en prie, à la longue, ça devient casse-pieds. 
Pour autant, si elle s'acquitte de son rôle  de guide avec enthousiasme et bonne humeur, 
Béa ne croit pas à l'hypothèse de visiteurs  venus du passé. 
Elle les imagine étranges ou amnésiques, 
et ne s'étonne ni de leur attitude ni de leur accoutrement, 
qu'elle justifie intuitivement selon ses références contemporaines. 
— Monsieur Houille, pas avec votre poncho ! 
D'ailleurs, elle est loin d'être la seule à tenter de rationaliser 
le comportement de ces deux énergumènes. 
— Ha ! Caméra cachée ! 
Au gré des rencontres, les hypothèses sont nombreuses, 
et chacun y va de son propre qualificatif. 
En tout cas, quels que soient les termes employés, 
Godefroy et Jacquouille sont considérés à égalité. 
S'il existait au début du film une hiérarchie séparant le seigneur autoritaire de son serviteur bouffon, 
celle-ci a donc été abolie par le saut dans le temps. 
— Bonne nuitée les petiots ! — Ahhhh ! 
— Ne restez pas devant la porte ! Vous voyez bien que vous leur foutez les jetons ! 
Certes, on retrouve cette opposition de caractères typique des comédies de tandem, 
qu'on décrivait dans notre vidéo sur "Tais-toi" 
et que Reno et Clavier avait justement étrennée ensemble dans "L'opération Corned-beef"... 
— Ta gueule ! 
mais de manière plus imprévisible, car un même personnage peut d'une scène à l'autre 
passer du costume de clown blanc à celui du boulet. 
— Il a vidé toute la bouteille ! 
— Une bouteille de parfum à 6000 ! 
D'autre part, contrairement aux tandems classiques de comédie 
qui affrontent en général tous les événements ensemble, 
ici, Godefroy et Jacquouille se retrouvent régulièrement éloignés l'un de l'autre, 
et semble poursuivre des objectifs distincts. 
— Dame Ginette m'a demandé en épousailles ! 
— Je t'ordonne de rentrer ici pressément ! — Je refuse ! 
En réalité, si leur inadaptation à notre époque a dans un premier temps semblé gommer leurs différences, 
un élément concret continue de les distinguer... 
— Qu'est-ce qu'il veut encore ? 
... chacun appartient à sa propre FAMILLE. 
À l'époque, le sujet est en vogue, puisqu'à la fin des années 80, 
le destin croisé des Groseille et des Le Quesnoy avait engrangé plus de 4 millions d'entrées en salle. 
— Ça sent bon chez vous. — C'est lundi, c'est raviolis ! 
Si "La vie est un long fleuve tranquille" abordait la question sous l'angle social 
en confrontant bourgeois et prolos à grands coups de stéréotypes, 
c'est par l'angle historique que "Les Visiteurs" s'empare du sujet, 
en questionnant la manière dont la valeur famille influence les mentalités sur plusieurs générations. 
— Tu vois un clodo pendant deux minutes qui a un gros pif aviné, 
et tout d'un coup c'est un cousin sensuel de la famille ! 
Le thème est souvent abordé dans les  récits de voyages temporels, 
puisqu'il est courant, en s'aventurant dans les couloirs du temps, 
de tomber sur un ascendant plus ou moins lointain, 
voir ses propres parents, à l'image de Marty McFly  qui fait craquer sa mère dans "Retour vers le futur". 
Cette dimension œdipienne est assez peu exploitée dans "Les Visiteurs", 
si ce n'est par quelques légers sous-entendus. 
— Oui, ben lâche-le ! Lâche-le ! 
— Ça sert à rien de tripoter des amnésiques ! — Mais ça va, non ? 
Mais la confrontation des deux héros à leur descendance permet de mettre en lumière 
deux conceptions très différentes de la famille. 
— Ma descendance ! 
À l'amour et la solidarité qui règnent dans le clan Montmirail 
s'oppose la répugnance de Jacquard, qui porte sa famille comme un fardeau, 
une malédiction qu'il faut fuir à tout prix. 
— Vous êtes prêt à laisser votre frère dormir sous les ponts ? 
— Mais ce n'est pas mon frère, ch**sse ! 
Tout ça est d'ailleurs très logique, puisque si la première lignée 
transmet à ses héritiers un patrimoine et des privilèges, 
la seconde a plutôt tendance à condamner à la servitude. 
Pour Godefroy, la famille est un avantage mais pour Jacquouille, c'est un handicap. 
— Toi, mon bougre, tu as une sale trogne ! 
Voilà pourquoi, il n'aura aucun scrupule, en fin de compte, 
à tirer profit de sa ressemblance avec Jacquard pour l'envoyer dans le passé à sa place. 
— Il est là, Messire ! — Il ronchie dans des habits de bouffons ! 
"Les Visiteurs" est donc, sur le fond, un film sur la famille... 
— Certes ! 
... mais c'est aussi, dans la forme, un film tout à fait FAMILIAL. 
Jean-Marie Poiré, pour rendre sa comédie "tous publics", 
aurait pu choisir de prendre un ado comme personnage principal 
ou adopter une approche burlesque pour édulcorer la violence. 
Mais pour attirer la jeunesse des années 90 il existait une autre formule... 
Du sang, des boules de feu, 
des chevaux, de la bagarre... 
et Kevin Costner. 
Si "Les Visiteurs" a su rassembler un public si large, 
c'est en partie grâce à ses emprunts, prévus dès l'écriture du scénario 
à un succès récent : "Robin des bois, prince des voleurs". 
On peut en témoigner directement puisque nous avions nous-mêmes une dizaine d'années à l'époque, 
et que le film nous a d'abord fasciné par son côté épique avant de façonner notre goût pour la rigolade. 
Car, si on y réfléchit, "Les Visiteurs" a vraiment tout du manuel d'éveil à la comédie. 
D'abord parce qu'il y a tout pour plaire aux très jeunes, 
qui peuvent s'amuser des personnages infantiles et de leurs grosses bêtises, 
rire de ce qui casse, de ce qui tombe, 
de ce qui pète, de ce qui salit ou qui fait du bruit. 
— Qu'est-ce qui s'est passé dans le couloir ? [BLAM !!!] 
Mais si cet aspect régressif, qu'on évoquait dans notre vidéo sur Eric et Ramzy, 
est parfois tout ce dont on se souvient quand on n'a pas revu le film depuis l'enfance, 
"Les Visiteurs" est loin de s'y limiter, à tel point que, 
dans les très sérieux Cahiers du cinéma, le film était décrit à sa sortie 
comme un "pot-pourri de ce qu'il y a de plus drôle dans la comédie française". 
Bon allez, n'ayons pas peur des mots, on tient ici un FILM SOMME. 
La preuve, on peut y repérer la quasi-intégralité des ressorts comiques analysés dans nos vidéos précedentes. 
On retrouve donc, comme on l'a dit, la mécanique du tandem à la Veber 
ainsi que la comédie de caractères chère à la troupe du Splendid, 
mais aussi le jeu sur la langue et ses différents registres qu'on avait étudié à propos d'Audiard... 
— Ça n'est point luminé, c'est de la merdasse ! 
... la figure du bourgeois irascible, dont on parlait au sujet de Louis de Funès... 
— Regardez cette veste qui était ravissante, on dirait un chiffon brûlé ! 
... une chouette séquence de pastiche hollywoodien, 
et évidemment, une profusion de gags à la croisée des styles et des influences. 
— Okay ! 
Mais cette délicieuse salade composée du rire n'a pas seulement nourri notre appétit pour la chose comique. 
C'est aussi ce qui a fait des "Visiteurs" un FILM CULTE. 
Le sémiologue Umberto Eco décrivait un phénomène similaire 
dans un article sur "Casablanca" de Michael Curtiz. 
Selon lui, "Casablanca" est un film culte, précisément parce que tous les archétypes sont là. 
"Casablanca" a réussi à devenir un film culte parce que ce n'est pas UN film. 
C'est LES films. 
De la même manière, "Les Visiteurs" n'est pas UNE comédie. 
C'est TOUTES les comédies. 
Enfin... disons que ça l'était, en 1993. 
Car si le film s'est dressé comme un monument dans le paysage comique de nineties, 
qu'en est-il aujourd'hui, 30 ans après ? 
L'édifice a-t-il pu résister à l'épreuve du temps ? 
C'est bien connu, l'humour à tendance à vieillir plutôt mal. 
Au delà des gags éculés, des archétypes usés jusqu'à la corde, 
ou des références que plus personne ne comprend... 
— Loulou ? 
... certains thèmes intéressent moins le public  avec l'évolution de la société. 
Par exemple, un genre florissant des années 70 comme la comédie de bidasses 
n'a aujourd'hui plus aucune résonance dans la vie quotidienne des Français 
notamment depuis la fin du service militaire. 
— Rego, il vous manque rien ? — Non, mon sergent. 
— Vous voulez 50 pompes ? — Oui, d'accord. 
De même, la figure du curé du village, qui remplissait les salles dans les années 50, 
n'évoque plus grand chose à nos sociétés modernes ultra-urbanisées. 
— C'est pas une idée ça, c'est une c*nn*rie. 
Et si le 2e épisode des Bronzés est aujourd'hui largement préféré au premier, 
c'est sans doute parce que son décor de station de ski est moins ancré dans les 70s 
que le village-vacances de Galaswinda. 
— Bip bip ! 
Dans le cas des "Visiteurs" le film a l'avantage de s'appuyer sur des thématiques intemporelles : 
la famille, les rapports de classe et l'histoire de France. 
— Vive la Révolution ! 
Mais au-delà des deux suites et d'un remake américain 
qui peuvent abîmer le souvenir que l'on a du premier épisode... 
— Very good perfume ! 
... notre jugement peut aussi être biaisé par tous les autres rôles de Christian Clavier, 
qui l'ont vu se spécialiser dans un personnage récurrent de bourgeois désagréable. 
— Mais allez, pousse, mémé ! Encore un petit effort, bon sang ! 
Si Jacquard a le mérite d'être le premier de la lignée, 
cet archétype a perdu de sa vitalité au fil des rôles, 
car a force de répétition, certaines ficelles finissent par s'user, 
pour ne pas dire plus... 
— Y a des roms ! Y a des roms ! — Comment ça "y a des roms" ? 
— Ben d'autres roms ! 
— Mais dehors, les romanos ! 
À ce propos, on pourrait aussi être tentés d'examiner "Les Visiteurs" selon la morale d'aujourd'hui, 
qui tolère mal la dérision quand elle s'appuie  sur... les violences faites aux femmes, 
ou... la stigmatisation des minorités. 
— C'est des malades ! 
Bon, en l'occurrence, l'exercice ne révèle pas grand chose... 
Au fond, il apparaît assez logique d'attribuer des propos odieux à un personnage odieux, 
ou des comportements arriérés à deux personnages littéralement issus du Moyen-Âge. 
— Ils m'ont jeté dehors en me traitant de vilaine, et ensuite j'ai entendu un raffut terrible. 
— Ouvrez ! 
"Les Visiteurs" tient donc encore la distance sur le fond. 
Mais c'est également le cas sur la forme. 
En appuyant ses gags sur des accessoires basiques comme une baignoire ou un interrupteur 
plutôt que sur des technologies dernier cri comme le bi-bop ou le minitel, 
le film évite le risque d'une obsolescence prématurée. 
— Eh, mollo eh ! 
Quant aux quelques références populaires  disséminées çà et là, 
bien que certaines puissent aujourd'hui sembler datées, 
elles se limitent pour la plupart, à des allusions légères. 
— Ben quoi, chochotte, je chante pas plus mal que Steph' de Monac' ! 
En fait, si dans l'ensemble, ce pur produit des 90s résiste admirablement au passage des années, 
c'est parce qu'il est totalement hors du temps. 
Qu'il s'agisse du 12e siècle ou des années 90, 
les deux époques dépeintes dans le film sont en réalité factices. 
Cet aspect ressort particulièrement dans les dialogues, 
avec d'un côté l'ancien françois pratiqué par Godefroy et Jacquouille, 
parfois un peu trop rigolo pour être vrai, 
et de l'autre le français moderne des personnages contemporains 
tout aussi caricatural. 
— Qu'est-ce que c'est que ce binz ? 
Comme personne n'a jamais vraiment parlé ni comme ça... 
— Donne-moi la gourdasse ! 
... ni comme ça... 
— Est-ce que vous avez un pola ? — Un quoi ? 
N'importe quelle réplique peut, des décennies  plus tard, conserver toute sa fraîcheur. 
— Okay ! 
Au moment de vérifier si "Les Visiteurs" est toujours aussi drôle aujourd'hui, 
peut même se surprendre à le trouver meilleur, 
et ce sans même parler de l'efficacité tiktokesque du montage 
tout en ellipses et jump cuts, bondissant d'un plan à l'autre 
sans laisser une seconde de répit au spectateur. 
Précurseur et hors du temps, le film continue, malgré les années, d'être on ne peut plus d'actualité. 
— Oh, ça puire ici ! On peut plus respirer, on va crever ! 
Dévoilant à chaque nouveau visionnage strates insoupçonnées et petit détails cachés, 
"Les Visiteurs" semble fait pour durer. 
On peut dès lors rêver d'un futur lointain où cette grande comédie familiale 
trouvera grâce aux yeux de nos petites petites petites petites fillottes. 
Que l'on soit nanti, fauché ou parvenu, elle est notre richesse, 
un patrimoine non imposable, fait de rires francs et de répliques inoubliables. 
— C'est okay ! 
Précisément parce qu'elle s'adresse à tous, elle doit être vue en famille, 
transmise comme un précieux héritage, de génération en génération. 
Ainsi survivent les comédies, quand elles parviennent, par miracle, 
à triompher du temps. 
Ouais, et donc... l'animal qui peut prédire l'avenir ? 
Ben, la poule… 
de cristal. 
沙发还没有被抢走,赶紧过来坐会吧