法语助手
2020-06-09
Je vous présente Lucie. Lucie a ce qu'on appelle une vie un peu nulle.
Déjà parce que Lucie est représentée par un point rouge dans une vidéo du Monde, ce qui ne peut pas être bon signe. Ensuite parce que Lucie a été infectée par le SARS-CoV-2.
Malheureusement, je ne suis pas médecin et ne peux donc rien faire pour Lucie, si ce n'est tenter de lui remonter le moral, car paradoxalement, sa maladie qui pointe va peut-être lui permettre de protéger d'autres personnes grâce à un outil au nom américain qui claque, le « contact tracing ».
Le traçage de contacts, en bon français, c'est un dispositif éprouvé que le gouvernement souhaite déployer pour lutter contre le coronavirus et dont le principe est assez simple.
Lorsqu'on identifie un cas Covid+, c'est-à-dire malade du Covid-19, on va l'isoler pour l'empêcher de transmettre le virus.
Puis, grâce à des outils numériques ou en enquêtant, on va tenter de retrouver tous les gens qu'il a pu infecter, puis on leur demande à leur tour de s'isoler et de se faire dépister, et s'ils sont positifs, on recommence.
Le traçage de contacts est un outil classique pour lutter contre les épidémies de maladies infectieuses, mais jamais il n'a servi pour des crises aussi importantes.
Reste donc à savoir s'il pourrait tout de même être efficace face au SARS-CoV-2.
Pour garder l'épidémie de Covid-19 sous contrôle jusqu'au déploiement d'un vaccin ou d'un traitement efficace, il faut maintenir en place un assortiment de mesures : gestes barrières, port du masque, interdiction des grands rassemblements, etc.
Parmi ces mesures devrait donc figurer le traçage de contacts.
Pour mettre en place ce système, il existe deux options principales qui ont déjà été déployées dans différents pays : le traçage de contacts classique par des humains ou l'utilisation d'une application smartphone.
La méthode classique, ce sont des gens, des traceurs, qui vont interroger les malades pour tenter d'identifier les contacts à risque qu'ils ont pu avoir.
Avec l'application smartphone, ces contacts seront enregistrés automatiquement dès qu'ils ont lieu grâce à la technologie Bluetooth. Pour bien comprendre ces systèmes de traçage, intéressons-nous à Lucie.
Il est important de garder à l'esprit que le Covid-19 peut se manifester très différemment d'une personne à l'autre et la situation de Lucie ne représente qu'une moyenne d'après les données disponibles début mai 2020.
Pendant les trois jours qui suivent son infection, elle traverse une période de latence. Elle n'a aucun symptôme et n'est pas contagieuse.
Puis, pendant deux jours, elle se sent toujours en pleine forme, mais sans le savoir, elle peut déjà transmettre le virus. À partir du sixième jour, les symptômes apparaissent.
Comme elle a de la fièvre et qu'elle tousse, elle décide de se faire dépister et s'isole en attendant les résultats.
Elle apprend le lendemain qu'elle est Covid+ et c'est là que débute le traçage de contacts.
Avec la méthode classique, un traceur va se rendre à son chevet ou la joindre par téléphone pour l'interroger.
Ensemble, ils vont tenter de reconstituer son emploi du temps et la liste de toutes les personnes qu'elle a pu infecter.
Ils vont ainsi s'intéresser à une période qui s'étend du jour même jusqu'à deux ou trois jours avant l'apparition des symptômes.
Le traceur va ensuite les contacter et leur demander de se confiner tant qu'un test ne prouve pas qu'ils sont sains.
Tout ce travail d'interrogation de Lucie, puis de prise de contact avec les personnes qu'elle a pu infecter, peut mobiliser le traceur pendant deux ou trois jours.
Alors, évidemment, cette méthode demande d'importantes ressources humaines. Plus il y a de cas, plus il faudra de traceurs.
Une étude américaine a estimé à la louche qu'il faudrait environ 100 000 traceurs pour faire face à la situation catastrophique que connaissent les États-Unis.
Si on extrapole en suivant leur raisonnement, il en faudrait en France autour d'une dizaine de milliers.
Maintenant, si ce traçage de contacts avait eu lieu avec une application pour smartphone, le résultat aurait été un peu différent.
Dans cette situation, Lucie a préalablement installé une application sur son téléphone.
Lorsqu'elle est activée, il émet constamment un signal Bluetooth contenant un identifiant unique.
Si elle se tient à proximité d'une autre personne pendant une durée suffisamment longue, leur téléphone enregistre l'identifiant de l'autre.
Ainsi, lorsque Lucie est testée positive, son identifiant est ajouté à une liste qui centralise les cas Covid+ et que tous les smartphones équipés de l'appli surveillent régulièrement.
Les contacts à risque qu'elle a eus au cours des deux semaines écoulées apprennent donc instantanément via leur application qu'ils ont été exposés à une personne porteuse du virus sans savoir de qui il s'agit.
Ils sont invités à se confiner, et ainsi de suite.
Cette différence de deux ou trois jours nécessaire pour réaliser le traçage a des conséquences importantes.
Reprenons la méthode classique. Avant d'être confinée, Lucie a eu le temps de contaminer deux personnes qui, à elles deux, vont cumuler sept jours de contagiosité avant d'être identifiées et isolées par les traceurs de Lucie. Ces sept jours de contagiosité aboutiraient en moyenne à deux nouvelles infections et la chaîne de transmission se prolongerait, ainsi de suite.
Dans le cas d'un traçage grâce à un smartphone, avec les mêmes conditions initiales, les deux personnes infectées par Lucie ne cumuleront que trois jours de contagiosité avant que l'application ne les avertisse qu'elles ont été exposées à un risque et qu'elles doivent s'isoler.
Elles ne devraient donc contaminer qu'une seule personne et la chaîne de transmission s'arrêterait très vite. On le voit donc assez clairement, le traçage de contacts via une application offre une réactivité capitale.
Maintenant, il faut voir que toute cette simulation est très théorique et cache en réalité plusieurs faiblesses. Certes, l'application permet d'aller vite, mais ses capacités de détection sont assez rigides.
Le téléphone de Lucie ne jugera risqué et n'enregistrera un contact que si elle reste très proche pendant suffisamment longtemps de son interlocuteur. Mais le virus peut se transmettre dans d'autres circonstances, et notamment dans des laps de temps plus courts.
Si elle éternue sur un collègue avec qui elle n'a disputé que deux minutes à la machine à café, l'application n'enregistrera pas cette interaction.
Par ailleurs, il est tout à fait possible que les personnes que croise Lucie n'aient pas l'application.
Ils ne seront alors pas informés que Lucie était malade, ils ne se confineront pas, et si l'un d'entre eux a contracté le virus, il prolongera la chaîne de transmission.
Des chercheurs de l'université d'Oxford ont estimé qu'il faudrait qu'entre 60 et 70 % de la population utilise cette application pour que l'épidémie stagne, un prérequis ambitieux puisqu'en 2019, en France, 77 % de la population était équipée d'un smartphone.
À l'inverse, avec la méthode classique, prévenir les contacts à risque de Lucie ne dépend pas de l'installation d'une application. Il est donc théoriquement possible de tous les retrouver.
Et ce, d'autant plus qu'un traceur pourrait avoir une vision plus fine des rencontres que Lucie a faites et de leur niveau de risque. Par exemple, en apprenant si elle a embrassé quelqu'un, éternué au milieu de plusieurs personnes ou même léché une barre de métro.
Mais cette méthode classique présente également des problèmes, notamment car toutes les informations que peut obtenir le traceur viennent de Lucie, un être humain qui n'est ni infaillible ni omniscient.
Elle peut ne pas se souvenir de toutes les connaissances qu'elle a croisées au cours de la dizaine de jours qui s'est écoulée, et elle a probablement croisé beaucoup d'inconnus à la caisse du supermarché ou dans le bus, avec qui elle a pu avoir des contacts à risque.
La mémoire exhaustive d'une application et son utilisation par un grand nombre de personnes pourraient résoudre ce problème.
Et puis, avec la méthode classique, les traceurs peuvent également rencontrer des difficultés pour joindre les contacts à risque.
Si Lucie a récemment croisé Vincent, qui vit dans une zone blanche dans le Cantal et est rarement joignable sur son portable, ou bien Stéphanie, qui a pour habitude de ne pas répondre aux numéros inconnus, difficile de les contacter.
Bref, avec une méthode comme l'autre, côté exhaustivité de la liste de contacts à confiner, cela s'annonce compliqué. Tout cela sachant qu'au-delà de la méthode choisie, l'efficacité du traçage de contacts dépend aussi de deux autres paramètres importants.
D'une part, le respect du confinement par les contacts à risques, sans lequel le traçage de contacts ne peut simplement pas fonctionner. D'autre part, la possibilité de tester ces personnes qui conditionne la rapidité de ces résultats.
Le premier constat évident, c'est donc que rien ne l'est. Et pour cause, nous n'avons encore jamais pu tester le traçage par smartphone, et jamais la méthode classique n'a été employée dans un contexte comparable.
Les exemples d'autres pays et régions sont également à considérer avec précaution, puisque nous manquons encore de recul pour parfaitement les analyser.
Mais à force d'études, de projets et d'essais locaux, une tendance finit tout de même par se dessiner. Les technologies doivent être explorées comme des multiplicateurs d'efficacité.
Le suivi et l'isolement des contacts doit reposer sur la conjugaison de deux approches complémentaires, par enquêtes intensives autour de tous les nouveaux cas et par la mobilisation d'outils numériques.
Comme il semble risqué de se passer de traçage de contact et impossible de choisir une des méthodes, la solution pourrait être de ne pas choisir et de joindre les deux méthodes.
Tout cela étant posé, leur efficacité n'est qu'une facette du problème puisque se pose aussi la question de la protection de la vie privée.
Avec la méthode classique, si elle accepte de répondre au traceur, Lucie consent à confier aux autorités sanitaires des informations confidentielles sur elle — son emploi du temps, ses relations, ses déplacements, etc.
Dans le cas d'une application pour smartphone, tous ceux qui l'installent, pas seulement les malades, devraient consentir à fournir des données aux autorités de santé.
Mais avec cette technique, il est tout de même possible d'envisager une application qui ne nous demanderait qu'un renoncement minime à notre vie privée, à condition de respecter plusieurs critères.
D'abord, n'utiliser que la technologie Bluetooth permettrait de limiter considérablement les données produites. Lucie ne serait connue par l'application qu'à travers un identifiant chiffré et la seule donnée produite serait un historique de rencontres d'autres identifiants.
C'est bien peu de chose en comparaison avec les informations qu'elle donne quotidiennement, sans forcément le savoir, à Facebook ou à Google, comme son identité, sa localisation, ses relations ou même ses habitudes.
Ensuite, stocker les données de manière décentralisée, c'est-à-dire conserver l'historique de rencontre de chacun uniquement sur son téléphone, permettrait d'éviter qu'elles ne soient détournées grâce à des outils d'analyse qui les compareraient les unes aux autres.
En plus de cela, un algorithme d'anonymisation robuste serait nécessaire pour protéger ces données, même s'il faut garder à l'esprit que le risque zéro n'existe pas.
On peut rendre cela extrêmement improbable, mais il sera toujours possible pour un hacker acharné de désanonymiser ponctuellement un identifiant.
Enfin, publier en source ouverte le code de l'application permettrait de s'assurer que tous ces critères sont respectés et qu'il n'existe pas de failles ou de pièges.
Mais au-delà de ces considérations de court terme, cette application soulève des interrogations plus fondamentales quant à l'avenir de notre société.
Est-ce qu'un tel outil pourrait donner naissance à de nouvelles formes de discrimination, par exemple en conditionnant l'accès à certains lieux ou droits par son utilisation ?
Est-ce que cette application peut créer un précédent qui rendra la prochaine plus intrusive, mais tout de même acceptable pour des raisons de santé ?
Est-ce qu'il s'agit d'un pas supplémentaire vers une surveillance étatique assistée par l'outil numérique ? Bien sûr, nombreux sont ceux à avoir un avis tranché sur la question, avec des arguments très divers, mais personne ne peut prédire la bonne réponse.
Finalement, tout ce qu'on sait aujourd'hui, c'est qu'en l'intégrant à un dispositif plus large, cette application serait un super outil si elle était massivement adoptée, mais on ne sait pas quel précédent cela créerait si elle était massivement adoptée.
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