法语助手
2017-06-03
Jean-Paul Marthoz, bonjour. Vous êtes journaliste, auteur de plusieurs ouvrages sur la pratique et l'éthique du journalisme et aussi militant des droits de l'Homme. Alors, au bar de l'Europe, je vous ai servi un verre d'eau bien transparente, inodore, incolore, un peu à l'image de ce journalisme qui se veut objectif. Et puis un verre de vin, plus charnel, plus enivrant, à l'image de ce journalisme engagé, euh… qui défend certaines valeurs. Vous choisissez quoi ?
Le vin. Pour autant que c'est pas un gros rouge qui tache, qui ressemblerait à la presse sensationnaliste, mais je… certainement le vin. Oui, absolument.
Les journalistes doivent être des rebelles ? C'est ce qui ressort un peu d'un de vos ouvrages, « L'éthique de la dissidence ».
Pas nécessairement, mais d'une certaine manière le bon journalisme s'exerce en pratiquant une distance critique par rapport à toute l'information que l'on reçoit. Donc d'une certaine manière le. . . la mentalité rebelle prédispose à une forme de journalisme. Cela dit, le rebelle peut être aussi un journaliste qui n'est pas nécessairement de grande qualité. Donc je pense qu'il faut concilier à la fois euh. . . un sentiment d'être… de servir le public en cherchant l'information qui dérange, surtout celle qui dérange, et d'une certaine manière donc, c'est un peu une prédisposition d'être rebelle. Mais je pense que, il ne suffit pas d'être rebelle. Il faut aussi appliquer au journalisme une série de critères professionnels, de sérieux. . . Faut pas. . . que la vérité soit victime de la rébellion par exemple. Il faut vraiment que… qu'on puisse s'imposer comme quelqu'un qui pratique l'excellence.
Alors vous épinglez des moments de bravoure du journalisme américain. Vous auriez pu faire la même chose pour le journalisme européen ou est-ce qu'il est plus conformiste ?
Je pense pas qu'il est plus conformiste. Je pense qu'il y a aux États-Unis une tradition plus grande du journalisme euh. . . de contre-pouvoir. C'est un peu inscrit dans la constitution. C'est le quatrième pouvoir. Je pense que ça vient de là. Et je pense que, si aux États-Unis on a… d'immenses exemples de journalisme de contre-pouvoir, de journalisme critique, on a aussi d'immenses exemples de journalisme conformiste. Par exemple, pour la guerre en Irak, la majorité de la presse américaine a suivi euh… comme un seul homme, comme une seule femme si j'ose dire, la position de l'administration Bush. Donc je pense que ce n'est pas nécessairement une très très grande différence. Je pense qu'il y a aussi en Europe des journalistes qui font leur métier avec beaucoup de sens critique. Je ne pense pas qu'il y ait actuellement, réellement un décalage aussi absolu qu'il a pu l'être à un certain moment de l'Histoire entre le journalisme à l'européenne et le journalisme à l'américaine.
Alors je vous interromps parce que vous le voyez, des petits parasites qui apparaissent ici et derrière ces parasites, quelqu'un qui va vous poser une question. On regarde !
Agnès Levallois, journaliste, spécialiste du monde arabe. Jean-Paul Marthoz, je souhaiterais vous poser une question. Nous avons vu l'Europe s'impliquer dans les révolutions euh. . . tunisienne, égyptienne, avec un petit peu de décalage. Nous l'avons vue s'impliquer également sur le dossier libyen. En revanche, sur la Syrie euh. . . la réaction a été beaucoup plus tardive. C'est vrai que ce sont des pays avec lesquels l'Europe avait des relations privilégiées, l'Europe qui a soutenu les dictatures représentées par ces pays. Donc, comment qualifieriez-vous la relation qu'entretient l'Europe avec ces pays ? Est-ce que ce sont des valeurs éthiques qui sous-tendent cette politique ? Ou beaucoup plus un principe de réalité ?
Réponse ?
Je pense que l'Europe est schizophrène de toute manière dans sa politique étrangère comme le sont en général les démocraties. C'est-à-dire qu'elles sont l'expression officiellement de valeurs. Elles s'en réclament tout le temps, les valeurs européennes, ou les valeurs occidentales, ou les valeurs universelles et par ailleurs, elles ont des intérêts. Et le grand débat précisément c'est de savoir comment on peut à la fois concilier une politique de réalité parce que le monde est tel qu'il est, c'est un monde de brutes, un monde de. . . d'hostilités. Comment faire pour concilier au maximum euh. . . ces intérêts, qui sont réels, avec les valeurs dont on se réclame ? Alors si je prends la question du monde arabe, je pense que l'Europe, de nouveau, a été schizophrène, en ce sens que, au même moment, par exemple, où des officiels de la Commission européenne soutenaient des journalistes indépendants, des blogueurs, au travers de certains programmes d'appui à la démocratie. . . à la presse, ou à la démocratisation, au même moment, les chefs d'État, continuaient à s'acoquiner avec Ben Ali, avec Kadhafi et autres. Et donc, je pense…
Elle est en train de se racheter cette Europe euh… en Lybie par exemple ?
Je pense, je pense qu'elle se rachète certainement euh… dans sa volonté de faire en sorte qu'elle soit, dans certains pays arabes, notamment dans le pourtour méditerranéen, qu'elle soit du côté finalement de la liberté. Je pense que là, il y a une convergence, me semble-t-il, entre les intérêts de l'Union européenne et la défense de la liberté parce que la consolidation de la démocratie est un élément essentiel de la stabilité dans la région et la stabilité c'est un des éléments de l'intérêt européen, mais la stabilité, et c'est là qu'il y a une convergence parfois qui est possible entre les valeurs et les intérêts, la stabilité européenne peut se faire, maintenant non pas par l'appui à des dictateurs, mais peut se faire par l'appui à ceux qui ont été à l'origine de cette euh… rébellion, de cette révolution.
Alors, elle s'est beaucoup trompée l'Europe, notamment en Tunisie, en Lybie, on l'a dit. Elle continue à se tromper euh… avec certains pays, avec certains régimes ?
Et bien, je pense que l'Europe se trompe certainement à l'égard d'un certain nombre de pays qui sont peut-être les nouvelles puissances émergentes, comme la Chine. Je pense que la Chine évidemment est un pays extrêmement important pour l'Europe, à tous les niveaux, mais je pense que euh… il reste encore une grande timidité de la part de l'Union européenne. Je pense aussi que sur la question par exemple du conflit israélo-palestinien, l'Europe devrait faire davantage preuve de sa capacité à être un acteur euh… qui croit réellement aussi à la possibilité de faire en sorte que ce conflit puisse se résoudre de manière équitable.
Alors, la Chine, on va y revenir avec cette question d'un internaute, Robert Veurest de Bruxelles : « Non seulement Jean-Paul Marthoz est incapable de choisir entre journaliste et propagandiste, mais qu'il nous dise comment il va expliquer aux Grecs qu'ils doivent donner des leçons de démocratie aux Chinois alors que Pékin est en train de racheter en masse de la dette de l'État hellénique ? »
Il est pas question de donner des leçons de démocratie aux Chinois, il est question, peut-être seulement de relayer cette partie de la population chinoise qui rêve de démocratie puisque ceux qui nous donnent des leçons maintenant de démocratie, ce sont notamment ces dissidents chinois qui sont actuellement en prison, mais aussi les gens qui ne sont pas en prison en Chine, mais qui se battent pour ouvrir l'espace démocratique en Chine en sachant qu'à terme, un plus grand respect de l'état de droit, un plus grand respect finalement des libertés, c'est une garantie pour la Chine d'asseoir son développement économique sur une base beaucoup plus forte que sur l'imposition d'un pouvoir autoritaire.
Mais quand vous voyez que la Chine aide aujourd'hui une série de pays européens, elle investit, en particulier en Grèce, on l'a dit, ça, ça vous fait pas peur ? Ca veut dire que l'Europe aura… n'aura plus ce levier en quelque sorte, va être plus timide pour faire des reproches à Pékin ?
Il y a danger, mais de nouveau, je pense que d'abord, c'est une question de fond pour l'Union européenne :
« comment en est-on arrivé là ? » Première question que je me pose. « Comment en est-on arrivé à ce stade où finalement des États soient si vulnérables par rapport à des pays euh… que par ailleurs ils courtisent euh ? » Et je n'entends pas la Grèce comme étant un pays particulièrement euh… agressif à l'égard de la Chine en matière de dénonciation des droits de l'Homme, mais je pense que, il est important euh… de continuer à dire : « nos valeurs européennes », du moins celles dont on se réclame, ce sont des valeurs universelles et donc, d'une certaine manière on peut concilier de nouveau une politique d'intérêts : accepter ce « sauvetage » – qui est le mot de l'Europe par la Chine – et en même temps affirmer ces valeurs. Je pense que c'est extrêmement important de ne pas mettre, comme le disait Chris Patten, qui fut un célèbre commissaire européen, « ne jamais mettre son drapeau des droits humains dans une valise ». Les Chinois savent très bien comment ils traitent avec l'Europe et c'est par intérêt qu'ils traitent avec l'Europe et si, d'une certaine manière on leur dit : « vous savez, on aimerait que vous respectiez le prix Nobel de la paix par exemple, et que vous le sortiez » parce que c'est vraiment un bel exemple de ce que la Chine est, d'avoir pu produire telle… ce genre de personnalité là, je pense qu'il faut oser le dire et que les Chinois comprennent que d'une certaine manière cela ne met pas du tout en cause leurs intérêts.
Merci Jean-Paul Marthoz d'être venu au Bar de l'Europe. Prenez ce verre de vin et moi, je resterai neutre !
Ah, ah ! Santé !
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