法语助手
2023-05-30
Est-ce qu'aujourd'hui, on est plus obsédé par notre visage qu'avant ?
On est plus obsédé par notre visage dans la mesure où
celui-ci est constamment présent, du matin au soir,
alors qu'il y a à peu près deux siècles à peine, début du XIXe siècle,
les gens n'avaient pas forcément de miroir chez eux.
Les miroirs en pied sont arrivés très tardivement dans les maisons.
Elles sont arrivées vers 1920.
En fait, les gens n'avaient pas forcément un grand intérêt pour leur visage.
Je ne le voyais qu'assez épisodiquement, ponctuellement,
lorsqu'ils allaient chez le barbier ou lorsqu'on essayait des chapeaux.
Je suis Marion Zilio,
je suis critique d'art, commissaire d'exposition et enseignante,
et j'ai rédigé un ouvrage qui s'intitule Faceworld, Le visage au XXIe siècle.
Alors justement, ce sous-titre, le visage au XXIe siècle,
qu'est-ce qu'il y a de nouveau
dans notre rapport à notre visage aujourd'hui, par rapport à avant ?
Alors, ce qui est nouveau,
ce sont justement tous ces supports techniques qui font circuler nos visages,
qui les extériorisent donc sur des supports numériques
qui passent de téléphone en téléphone.
Et ça, c'est complètement nouveau
au regard de l'évolution de l'histoire de l'humanité,
puisque ce dont on se rend compte, c'est que le visage,
eh bien, est une invention finalement assez récente.
La plupart des individus ont eu accès à leur visage
dès lors que la photographie a été inventée au milieu du XIXe siècle,
puisque la majorité des individus n'avaient pas accès à leur visage,
puisqu'il faut effectivement un support qui nous le renvoie,
qui nous donne à voir, et pour cela il faut un miroir,
il faut une photographie, il faut un écran.
Ça passait beaucoup par le regard de l'autre au fil d'un temps,
aujourd'hui on a le sentiment justement que
l'autre est de plus en plus évacuée.
D'ailleurs il y a une anecdote très intéressante
qui se déroule à l'époque grecque archaïque,
où il existait des espèces de petits miroirs en métaux polis,
et les hommes avaient interdiction de se regarder dans ces métaux,
parce qu'ils prenaient un double risque,
celui de ne pas vérifier l'estime d'eux-mêmes
justement dans le regard de l'autre, sur la place publique,
et puis celui d'être chosifiés par l'objet qui lui renverrait son reflet,
tandis que les femmes elles avaient obligation de se regarder dans ces miroirs,
pour justement bien intégrer le fait
qu'elles n'étaient rien d'autre que des objets.
Dans quelle mesure la représentation des visages
informe sur les rapports sociaux au sein d'une époque, d'une société ?
Dès lors que le visage justement est extériorisé sur un support,
il faut se demander qui a le contrôle de ces images.
Lorsque la photographie par exemple est inventée au milieu du XIXe siècle,
les personnes sont obligées d'aller dans les ateliers de photographes,
mais ce dont on se rend compte c'est que c'est d'abord,
on va dire, le cadre scientifique, le juridique, qui va administrer,
assigner une identité à travers la construction de ces visages par l'appareil photographique.
Par exemple on va venir inventer la figure du bourgeois,
inventer la figure de l'ouvrier,
la figure de la femme, la figure du pauvre.
Comme ça en fait on va créer des catégories de personnes
qui vont être figées par l'appareil photographique.
Et donc c'est tout un ensemble de rapports de force,
de pouvoir d'assignation, de création d'identité,
qui vont s'enrouler justement autour de cette figure extériorisée
qui va par rétroaction informer le sujet de la place qu'il doit occuper dans la société.
En fait le visage à l'origine c'est le masque.
Il y a dans de nombreuses langues en fait
un rapport où un même mot signifie masque et visage
parce que le masque à l'époque n'était pas ce qui cachait mais ce qui révélait.
Récemment on a des nouveaux masques qui sortent,
qui semblent justement rejouer toute la panoplie des standards de beauté
en s'alignant sur le visage par exemple de Kim Kardashian,
des choses comme ça, avec justement ce filtre Bold Glamour,
quelque chose comme ça.
Mais ce qu'on a vu aussi c'est que
beaucoup d'internet ont eu la possibilité de créer leurs propres filtres,
notamment sur Instagram
il y a eu des applications comme ça
on pouvait inventer soi-même des masques qui s'animent.
Et là on a vu quelque chose de beaucoup plus débridé apparaître,
une volonté justement de sortir de ces normes,
d'inventer un nouveau visage,
de s'apparaître autrement et parfois avec quelque chose
qui nous reconnecte davantage au monde
que ce que justement on a tendance à croire,
c'est-à-dire que le filtre, le masque nous cachent
et là parfois nous révèlent,
nous fait rentrer en connexion avec d'autres.
La représentation du visage aujourd'hui
finalement fige dans le temps de notre propre visage
et donc du coup on peut voir sur des anciennes photos notre jeunesse
quand on est devenu âgé
et en même temps tous les jours on est confronté à notre propre vieillissement.
Comment vous le percevez ?
Oui le rapport au temps par rapport à la question du visage est crucial
puisque vous savez lorsqu'on se faisait peindre
et encore une fois c'était une certaine élite
qui avait la possibilité de commander des portraits,
eh bien il fallait poser longuement
pour justement avoir son visage apparaître.
Dans les années 80, pour reprendre un peu ma génération,
nous on avait des appareils photo argentiques,
il fallait donc acheter la pellicule
puis la ramener dans les ateliers de photographe pour enfin la récupérer.
Aujourd'hui tout est instantané,
de plus en plus jeune on a accès à son visage
alors que encore une fois lorsque moi j'étais plus jeune
c'était très épisodique finalement,
la représentation de son visage
c'était pour les anniversaires, des fêtes, Noël ou la photo de classe.
Et puis de temps en temps d'autres images qui transitaient
mais finalement on avait une vision très lacunaire de notre visage,
aujourd'hui elle est omniprésente,
il y a une sorte d'hypernasie de son visage,
d'où aussi peut-être cette volonté pour la jeune génération de créer des stories,
c'est-à-dire des images qui s'effacent pour justement pouvoir aussi oublier
certaines parties et moments de son visage.
Est-ce que les avatars, est-ce que l'intelligence artificielle,
on en parle beaucoup aujourd'hui,
change quelque chose ?
Est-ce qu'on change de paradigme avec ça
ou est-ce que c'est une suite logique ?
Oui, on change de paradigme malgré tout dans la mesure
où le visage semble de plus en plus discrétisé.
En gros, ça veut dire que le visage se transforme
de plus en plus en une donnée, une data,
qui pourra justement être instrumentalisée pour des procédés de reconnaissance faciale,
pour essayer d'envisager le visage dans un futur,
dans un passé, et tout ça à des fins de contrôle,
car qui contrôle les images contrôle aussi certainement les subjectivités.
Est-ce que vous avez un message pour la personne
qui regarde cette vidéo et qui apprend tout un tas de trucs
et qui va se dire
« mince, mon visage, qu'est-ce que je fais avec ça ?
Qu'est-ce que je fais avec toutes ces nouvelles données ? »
Dès lors que vous postez un selfie ou un visage sur une plateforme,
il faut se demander à qui appartient du coup ce visage,
quelle sera la transformation économique de votre visage
dès lors qu'elle est postée sur Instagram,
qui va capitaliser sur votre image ?
Donc ça, c'est une question vraiment importante à se poser.
Et puis d'un autre côté, encore une fois,
comment justement vous pouvez essayer de ne pas répondre
de façon automatique et réflexe à certains standards, certains stéréotypes
qui sont toujours les premiers à véhiculer sur ce type de réseaux,
pour au contraire essayer de refaçonner autrement un visage
à travers tout un tas de petites techniques de bricolage
pour essayer d'apparaître et de transformer aussi la façon
dont l'espèce humaine tout simplement se pense et évolue.
沙发还没有被抢走,赶紧过来坐会吧