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Un gilet pare-balles et un service à thé, quel est le rapport ?

Aujourd’hui nous avons d’un côté le service à thé de ma grand-mère
et de l’autre un gilet pare-balles.

C’est quoi le rapport ?

Pour y voir plus clair,
on s’est rendus dans un lieu entouré de pâquerettes
et de montagnes,
là où les cigales s’époumonent pour couvrir le souffle du mistral.

À Cavaillon !

Au laboratoire de Sylvain Deville !

« Ça claque un peu au-dessus de vous,
je crois que la direction du vent est en train de changer ».

Non c’est le soleil, quand il tape sur les trucs en plastique là
ça dilate un peu.

Sylvain est un physicien spécialiste des matériaux.

Là, je suis sur une chaise qui est en métal avec du bois,
je connais les propriétés de chacun des composants.

Je suis sur du béton,
j’ai une pièce en céramique à la main, ma montre est en plastique,
les tissus c’est des fibres de coton.

Dans mon jardin j’ai des iris par exemple,
quand il a plu,
les surfaces des feuilles d’iris sont super hydrophobes.

Et mon premier réflexe quand je vois ça,
c’est de l’analyser d’un point de vue matériau, de me dire
comment est faite la feuille d’iris pour que les gouttes
aient ce type de comportement dessus.

Des fois c’est un peu fatigant
parce qu’on a l’impression d’être toujours au boulot,
mais en tous cas c’est une source d’inspiration. Tout est « matériau »
donc potentiellement tout est réservoir d’idées
autour de nous en permanence.

C’est ainsi que Sylvain a eu l’idée de s’intéresser à un matériau
que l’on retrouve sous forme de poterie,
de faïence ou de porcelaine :
la céramique, du grec keramos, l’argile.

Un matériau que l’homme exploite depuis le Néolithique
mais que Sylvain a croisé dans une version plus moderne.

À l’époque je travaillais pour des céramiques
pour faire des prothèses de hanche,
donc biomédicales.

Et ma mère s’est fait poser une prothèse de hanche en céramique
juste au début de ma thèse d’ailleurs, donc j’ai pu amener
une prothèse pour qu’elle voie à quoi ça ressemble.

Et donc j’ai découvert la céramique comme ça...
ma mère va très bien, la prothèse va très bien,
elle est en place depuis 20 ans, c’est du bon matériau la céramique.

La céramique est composée de grains,
qui sous l’effet de la chaleur, s’agglomèrent
et se transforment en structure compacte.

L’un de ses grands avantages,
c’est que la céramique résiste très bien à la haute température.

Le gros inconvénient, c’est qu’elle casse facilement.

Oh ! Pardon mamie.

Pourquoi elle casse net ? Alors ça c’est une propriété
qui est liée à la manière dont les atomes sont accrochés entre eux
à l’intérieur.

Et quand on casse les liaisons entre atomes dans la céramique,
on n’a pas d’autre moyen pour freiner les fissures.

Et donc quand la fissure démarre, il n’y a plus rien qui l’arrête,
donc elle casse d’un coup. Alors que dans un métal,
quand la fissure démarre,
il y a tout un tas de mécanismes qui entrent en jeu
pour dissiper de l’énergie,
qui font que les pièces de métaux ne cassent pas
aussi net que les céramiques.

Pour tenter de remédier à ce problème,

Sylvain a donc eu une idée originale :
plonger la céramique dans le froid.

Si si, à Cavaillon,
l’un des lieux les plus chauds de France.

C’est un double paradoxe
parce que d’une part effectivement ici il ne fait pas souvent froid,
on a eu de la neige pendant 10 minutes l’hiver dernier.

Le deuxième paradoxe qui est encore plus important
c’est que la céramique en général, pour la consolider,
faire des pièces qui se tiennent comme celle-là,
il faut qu’on monte à plusieurs centaines ou milliers de degrés.

Donc on a un double paradoxe
à congeler des céramiques et en plus à le faire ici à Cavaillon
où en général on a les records de température en France.

Et là, stupéfaction ! Au niveau microscopique,
en se formant, les cristaux de glace
ont poussé la matière à se réorganiser
et les chercheurs se sont aperçus
qu’ils obtenaient une structure proche de la nacre,
celle d’un coquillage...

Comme celui-ci,
ou celui-là ou ceux-là par exemple.

La nacre effectivement a une structure extrêmement résistante.

Et vous avez déjà pu en faire l’expérience
si vous avez essayé d’ouvrir des huitres en période de fêtes.

Quand on regarde la structure de près, c’est un assemblage de briques,
comme un mur de briques, des toutes petites briques par contre,
elles sont plus fines que l’épaisseur d’un cheveu.

Quand on veut la casser il faut faire propager une fissure dedans.

Et quand on fait ça, ça dissipe beaucoup d’énergie
parce qu’il faut passer autour de toutes les briques une par une.

Et donc c’est cette structure qui rend la nacre extrêmement résistante
à l’impact et à l’intrusion extérieure.

Restait alors à trouver suffisamment de nacre
pour faire des tests.

Plage, poissonnerie
aucune piste ne fut négligée.

Celle-là, c’était une conférence au Japon,
et au repas de gala de la conférence
- il y a toujours un repas où tout le monde est en grande pompe,
en train de manger - et ils nous ont servi des abalones.

Et donc à la fin du repas j’ai récupéré les coquillages
pour me faire des échantillons.

J’étais le seul à faire les poubelles de table
à la fin du repas pour les ramener à la maison.

Et là, pour le coup,
le problème était inverse de la céramique traditionnelle.

L’une des difficultés, c’est qu’il faut casser les matériaux
si on veut aller regarder comment ils sont faits.

Et comme c’est des matériaux résistants,
c’est pas toujours facile à casser effectivement.

Donc ça, il faut un bon coup de marteau des fois
pour arriver à regarder ce qu’il se passe.

Je l’ai bien sorti, t’as vu ça ?

Je suis quand même l’inventeur de cette technique.

La céramique de Sylvain était donc à la fois
résistante à la chaleur,
mais aussi beaucoup moins cassante.

Si les applications directes de son travail
restent pour le moment secrètes,
sa céramique pourrait élargir le champ des utilisations possibles
de ce matériau millénaire.

Pour les nez de fusée,
ou les hauts-fourneaux qui sont soumis à des pressions
et des températures extrêmes.

Mais aussi désormais les gilets pare-balles,
vu sa résistance exceptionnelle.

De son côté, Sylvain a continué à étudier
l’effet du froid sur d’autres matériaux.

On congèle la mayonnaise, on congèle des gouttes d’huile,
on a congelé du Perrier, on congèle des cellules de levure de bière,
j’ai congelé du Coca une fois.

On a essayé de retrouver la recette du Coca
en regardant le comportement de la congélation après.

On a mis du sucre et de l’acide citrique,
je pense qu’on s’est rapprochés un peu mais on n’a pas osé le boire.

Quant à son intérêt pour la céramique,
il s’est un peu émoussé.

On a vu apparaître les couteaux en céramique
dans les cuisines, je ne suis pas très fan.

Je trouve que cela ne coupe pas très bien.

Peut-être que ça me rappelle trop le travail aussi.

Je ne veux pas en ramener à la maison.