法语助手
2023-08-16
Est-ce qu'aujourd'hui,
on peut être amis avec quelqu'un qui ne partage pas nos valeurs ?
Alors, c'est vrai qu'on a tendance, en général,
à penser que les amis doivent nous ressembler,
non pas seulement dans notre personnalité,
mais aussi dans les valeurs qu'on partage,
dans les idées, les croyances qu'on peut avoir.
Il y a cette idée que la similitude,
la ressemblance serait une condition de l'amitié.
Et ça, justement, ça vient de cette conception antique.
Je parlais d'Aristote, mais en fait, Platon, Cicéron
ont cette même idée générale que l'amitié est un peu une forme de relation spéculaire
où l'autre est un miroir de nous-mêmes,
est une image idéale de nous-mêmes.
Et à partir du moment où ce n'est plus le cas,
où ce n'est pas le cas, il n'y a pas d'amitié.
Moi, je crois que l'amitié peut faire place à une différence,
voire une très grande différence.
On connaît la phrase de Montaigne sur son ami la Boétie
« Parce que c'était lui, parce que c'était moi ».
Ici, ce qu'il veut dire, c'est qu'ils sont amis
pas seulement parce qu'ils se ressemblent,
c'est pas ça qui est important.
« Parce que c'était lui, parce que c'était moi ».
Ici, l'amitié, ce n'est pas une relation au miroir,
c'est une relation de deux singularités qui se rencontrent et qui s'accordent.
Ça fait penser à un exemple très connu de deux personnes
qui s'opposent frontalement idéologiquement,
qui sont deux juges de la Cour suprême américaine,
Scalia, un conservateur,
et Ginsberg, qui est plutôt une juge progressiste
et défenseur des droits des femmes.
Deux personnes que tout oppose frontalement,
même sur des questions comme le droit à l'avortement ou la peine de mort,
et qui pourtant sont des amis, qui passent le nouvel an ensemble,
leurs enfants sont des amis.
À partir du moment où les deux amis
sont capables d'engager une discussion rationnelle,
c'est-à-dire de passer sur le terrain de la raison,
cette amitié, en fait, elle est indestructible.
Et c'est ce que dit Spinoza :
« Plus les amis, et plus, en général, les personnes dans une société
vivent sous la conduite de la raison,
plus ils peuvent s'unir. »
Parce qu'on va pouvoir argumenter sur un terrain rationnel.
Au contraire, l'affect a tendance à nous séparer.
Et si on a des personnes qui adhèrent à des valeurs,
mais qui y adhèrent sans pouvoir justifier rationnellement pourquoi,
et en fait ne sont pas capables de pouvoir discuter,
restent attachés juste affectivement,
en fait, Spinoza dirait que c'est un obstacle.
– Mais est-ce que les affects et les émotions ne sont pas propres à l'humanité ?
Est-ce que finalement c'est normal d'avoir des affects ?
– Oui, alors c'est tout à fait normal.
Et moi ce que je dis,
c'est qu'une amitié où la divergence idéologique n'est pas un obstacle
est forcément une amitié où les amis font un effort rationnel
pour un peu mettre de côté leur affectivité, leur adhérence, leur adhésion affective à des valeurs
qui ont été héritées du milieu familial, d'amis, etc.
et qui vont faire cet effort rationnel pour pouvoir essayer de comprendre l'autre,
de discuter avec l'autre, avec la raison et non pas avec les émotions,
parce que les émotions forcément ça amène à la colère, à des disputes.
Clairement c'est un facteur de divergence.
– Après ce qu'on pourrait dire c'est que
c'est un peu triste comme vie de ne plus avoir d'émotion,
de ne plus avoir d'affect, d'être un être froid.
Est-ce que c'est vraiment ça ?
– C'est clair, on pourrait dire que ça c'est la solution de la sagesse philosophique,
voilà, mais on est d'accord pour dire que
c'est très difficile de vivre sous la conduite de la raison comme dit Spinoza
et que c'est impossible de se départir de ses affects.
Dans ce cas, quand on a deux amis qui ne partagent pas les mêmes valeurs,
mais qui sont quand même amis, qu'est-ce qui va se passer ?
Comment est-ce qu'on va faire pour rester amis ?
Ce qui se passe généralement, c'est qu'on va éviter certains sujets.
Et il me semble que ce n'est pas là une forme de fuite ou de compromis.
Pour moi, c'est parce qu'on les aime qu'on évite ces sujets.
Et le jour où on se dispute sur ces sujets,
en fait pour moi c'est un peu le signal qu'on avait au préalable,
ou a priori envie que l'amitié se termine.
– Aujourd'hui, avec les réseaux sociaux,
on va dire telle personne follow tel autre.
Alors je ne suis pas sûr que ce soit de l'ordre de l'amitié,
mais on en tire des conclusions.
– Absolument, on induit des choses, des éléments
sur l'identité de la personne, sur ses valeurs, sur ses croyances,
à partir des personnes qu'elle suit et des personnes qui la suivent,
en présupposant aussi, encore une fois,
qu'on s'associe aux gens qui nous ressemblent.
Or, moi personnellement par exemple,
je suis des gens avec lesquels je ne suis pas d'accord,
justement parce que c'est intéressant aussi
de suivre des gens qui sont pas d'accord,
avec lesquels on n'est pas d'accord.
En fait, on est juste en train de céder à juste une tendance
à associer les gens en fonction de leur similitude, de leur ressemblance.
Pour moi c'est un peu une tendance,
un préjugé peut-être contre lequel il faut combattre,
parce que, comme on l'a vu avec Montaigne ou avec d'autres,
l'amitié c'est aussi des différences
et on n'est pas amis malgré les différences,
on peut être amis grâce à des différences.
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