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1976 : Elles choisissent de ne pas avoir d'enfant | Archive INA

Je pense que c'est un peu égoïste,
parce que je crois que dans la vie d'un couple,
il faut au moins un enfant.
Ça donne un but dans la vie.

Des pondeuses, c'est le mot, certes très choquant,
qu'avait utilisé une de nos invitées
lors d'une des précédentes émissions pour qualifier les mères de famille.
Et nous nous souvenons que vous n'aviez pas tellement apprécié cet adjectif.
La coupable, elle est avec nous, vous vous en souvenez peut-être,
c'est Anne, de la Ligue du droit des femmes.

Anne, vous avez choisi de ne pas être une pondeuse,
puisque c'est l'épithète que vous utilisez.
Vous avez choisi de ne pas être mère du tout.
Vous avez choisi de ne pas avoir d'enfants.
C'est le thème de l'émission d'aujourd'hui.

Anne, pourquoi avez-vous fait un tel choix ?
Expliquez-nous brièvement.

Oui, j'ai fait ce choix très jeune,
parce que j'ai pris conscience que ce n'est pas la maternité
qui était un poids, un fait,
mais c'était les conditions qui lui étaient faites.

Et comme je voulais vivre ce qu'on appelle ma vie,
c'est-à-dire m'épanouir de façon diverse,
profiter de ma liberté,
j'avais très bien compris que le faire tout en ayant des enfants,
c'était à peu près impossible.
Donc j'ai choisi de ne pas avoir d'enfants,
parce que je voulais assumer ma liberté et me réaliser.

Est-ce que vous avez l'impression que ce choix,
vous avez été seule à le faire,
ou beaucoup d'autres femmes actuellement font ce type de choix ?
Est-ce que vous sentez une exception ?

Oui, avant c'était plutôt exceptionnel,
mais je pense que maintenant de plus en plus de femmes
accèdent à une conscience du sacrifice que représente la maternité
et vont faire le même choix que moi,
oui, comptent le faire parmi les adolescents.

Et je crois qu'on peut dire aussi qu'elles ont peut-être maintenant
un peu plus les moyens de faire ce choix,
c'est-à-dire c'est grâce à la contraception ou à l'avortement
qu'elles peuvent vraiment choisir de ne pas avoir d'enfant du tout.

Et entre autres, effectivement,
elles sont plus libres qu'avant de faire ce choix,
et en même temps elles sont plus conscientes
aussi de ce que ça représente d'avoir des enfants,
même indépendamment de la...

Est-ce que c'est un choix facile à faire ?

Non, c'est un choix très difficile,
comme tous les choix qui vont à contre-courant des opinions reçues.

C'est un choix définitif ?

Absolument, pour moi il est définitif.

Madame Mouté, est-ce que vous voulez vous présenter,
vous dire vous-même qui vous êtes,
comment vous vous situez par rapport au problème ?

Oui, moi je rejoins beaucoup les idées de Anne,
bien sûr, parce que très jeune j'ai toujours été contre les idées reçues,
contre être mise dans un cadre déterminé,
et je me souviens fort bien au lycée,
quand j'avais 17 ans, un jour
j'ai eu une discussion avec une de mes camarades de classe,
nous parlions de mariage,
et elle disait de toute façon le mariage
c'est uniquement pour avoir des enfants.

Ça m'avait fait bondir, d'ailleurs après ça n'a plus été ni d'amis ni autre,
parce que je ne voulais pas que dès le départ,
avant même que j'aie pu choisir quoi que ce soit,
on me mette l'étiquette de reproductrice.

Vous vous êtes mariée alors ?

Oui, je suis mariée pour la deuxième fois même.

Et sans enfants ?

Et sans enfants, et je m'en porte très bien.

Oui ?

Oui, je me sens tout à fait heureuse,
pas tourmentée, ni manquante quelque chose.

Il me semblait que lorsque vous cherchiez la façon de répondre,
il y avait un tout petit peu de résignation,
un tout petit peu de regret.

Aucun, non.

La question est vaste et suppose bien des nuances dans la réponse,
qu'une femme peut refuser d'avoir des enfants ?

Elle peut bien sûr, mais elle le paiera un jour.
Elle le paiera un jour, parce qu'on ne va pas contre la nature impunément.
La vie ne s'arrête pas à quelques décennies,
ni le jour où vous décidez d'avoir ou de ne pas avoir d'enfants,
ni pendant les vingt ans qui suivent.
Elle se continuera jusqu'à votre vieillesse, et que deviendrez-vous à ce moment-là ?

C'est un problème de morale que vous posez ?

Je pose un problème de morale, oui, et je pose un problème de bon sens.

Il y a déjà des réactions près de moi.

Madame Mouté ?

Eh bien, votre vieillesse, ça c'est tout à fait à chaque fois le mot qui m'ennuie,
quand j'entends les femmes parler ou me dire à moi,
vous n'avez pas d'enfant,
et qu'est-ce que vous ferez quand vous serez vieille ?

Alors, c'est un placement qu'on fait.
On met un enfant au monde pour avoir quelque chose plus tard sur quoi retomber.
Ça me paraît d'un égoïsme infini.

Je voudrais vous présenter les réactions de l'homme de la rue,
parce qu'il s'agit surtout de réactions d'hommes,
au choix qu'a fait Anne et qu'a fait Madame Mouté,
et qu'ont fait de nombreuses autres femmes.
Regardons ensemble ce téléciné.

qui choisit de ne pas avoir d'enfant du tout ?

Moi, je trouve ça que c'est pas bien.

Pourquoi ?

Parce que je trouve qu'aménager sans enfant, c'est pas valable.

Je pense que c'est un peu égoïste,
parce que je crois que dans la vie d'un couple,
il faut au moins un enfant.
Ça donne un but dans la vie.

Je trouve qu'elles ont grand tort,
parce qu'il est naturel pour une femme d'avoir un enfant,
c'est tout à fait naturel.

Elles ont raison.
Personnellement, je n'en veux pas.
Parce que les signes qu'ils passent, ça donne trop de soucis.
On a suffisamment de problèmes pour vivre soi-même.

Elle n'a pas envie.
Elle ne pense à rien.
Elle n'a rien dans sa petite tête.

Diable.
Elle a peut-être pas tort.
Je ne sais pas.

Je regrette que des femmes n'en aient pas envie du tout.
Je regrette pour elles.

Je trouve ça très mal.

Pourquoi ?

Pourquoi ?
Parce que c'est le rôle d'une femme d'avoir des enfants.

Je trouve qu'elle gâche une grosse partie de son existence.
C'est la chose la plus importante de sa tâche dans sa vie.

C'est une erreur.

Pourquoi ?

Parce que la vie est une chaîne.
Je pense qu'à un certain âge, elle en manquera.

Est-ce que vous pensez que ce n'est pas une vraie femme ?

Une vraie femme ?

Toutes les femmes sont des vraies femmes à la mesure où elles existent.

Non, ce n'est pas une vraie femme.

Elles ne sont pas assez complètes.
A mon avis, ce n'est pas bien.
Je crois qu'elles ne sont pas heureuses.
Il leur manque quelque chose.
Ou il leur manquera quelque chose.

C'est une vraie femme sans avoir d'enfant.

Est-ce que vous pensez que c'est une fuite devant les responsabilités ?

Une fuite ?
Disons que c'est l'émancipation de la femme.
Tout dépend de son caractère.

Vous êtes pour ou contre ?

Personnellement, je serais plutôt contre.

Pourquoi ?

Pour moi, c'est un épanouissement de la femme d'avoir un enfant.
Quitte à être mère célibataire.

C'est un épanouissement nécessaire.

Quasiment indispensable.

Vous vous trouvez face à une femme qui vous dit qu'elle ne veut pas avoir d'enfant ?

Si elle trouve un homme qui va accepter ça, c'est parfait.

Je crois que si la population veut...
Je ne sais pas, après ça va finir.
Il n'y aura plus de population.
Ça va être la fin du monde un peu.

C'est très bien parce qu'il y a beaucoup de monde en ce moment.
C'est pas suffisant pour tout.

Au XXe siècle, les femmes peuvent vivre libre sans avoir d'enfant.

Les femmes qui ne veulent pas d'enfant ont un réflexe égoïste.
Si toutes font de la même façon, la chaîne de la vie va s'interrompre.
Ça sera la dépopulation, la dénatalité.
Et bientôt, il n'y aura plus personne à la surface de la Terre.
L'objection tient debout.
Qu'est-ce que vous pouvez répondre ?

Il y a deux choses à répondre.
D'abord, c'est qu'on nie à une femme une réalisation propre.
C'est pour ça qu'on l'a dit égoïste.
Elle n'est reconnue que si elle se prolonge.
Donc, elle n'est pas pour ce qu'elle est elle-même, mais pour ce qu'elle donne.
C'est pas comme un arbre qui porte des fruits.
Donc, on nie son existence ou sa réalisation personnelle,
puisqu'on attend qu'elle se prolonge.

Vous voulez dire que l'enfant est un obstacle à sa réalisation personnelle ?

Pas du tout.
Je n'ai pas dit ça.
Mais je veux dire que dans la société, elle n'est rien si elle n'a pas d'enfant.
C'est à l'inverse.
Autrement dit, elle n'a rien par elle-même.

La conséquence, vous dites, il ne faut pas qu'elle ait d'enfant.

Ah non, non.
La conséquence à tirer est personnelle, individuelle.
Chacune en tire les conséquences qu'elle approuve elle-même.
Bon, c'est une première remarque.
Ça montre bien à quel point la femme n'est rien dans cette société,
puisqu'elle n'est que si elle se prolonge.

Deuxièmement, l'objection démographique est stupide,
parce qu'actuellement, le péril qui menace l'humanité,
c'est trop de monde et pas assez.

Si en France, nous qui sommes évolués,
nous acceptons que la femme n'ait pas d'enfant,
attention, parce que justement,
le péril démographique viendra de l'extrême-orient,
où il y a des peuples qui se comptent par centaines de millions
et nous serons submergés.

De toute façon, je crois que nous ne sommes pas
à la veille du jour où toutes les femmes,
ensemble, vont décider de ne pas avoir d'enfant.
C'est ridicule.
On est en train de réclamer le choix de ne pas en avoir.
Jusqu'ici, ça a toujours été « en avoir ».

Alors, quelques-unes qui n'en ont pas,
je voudrais bien qu'on ne les culpabilise pas,
qu'on n'en fasse pas des partiards.

C'est un réflexe rigoliste.

C'est inutile qu'on nous dise souvent « pas du tout ».

La femme qui n'a pas connu la maternité n'est pas une femme accomplie,
sous-entendu, mentalement et physiologiquement.
Alors, est-ce qu'on peut vous poser la question
et vous me dire ce que vous en pensez ?

Normalement, la maternité, pour moi,
est le complément normal de la vie du couple.

Oui, mais est-ce que ça veut dire
qu'il manque quelque chose à la femme qui n'a pas d'enfant ?

C'est elles qui le disent.
On verra bien si elles en manquent quelque chose.

Oui, mais qu'est-ce que vous en pensez, vous ?

Alors, je vous répondrai par ceci,
par des arguments purement médicaux.
Il est certain qu'une femme qui ne veut pas d'enfant,
ce n'est pas tellement fréquent que ça.
Beaucoup n'en veulent pas immédiatement.
Et ça assure toujours, et c'est ça qui est frappant,
que lorsqu'on leur donnera une contraception,
elles ne seront pas gênées lorsqu'elles voudront un enfant.
Ce qui prouve que le désir de maternité
reste très vivace, très profond, et paraît dans la nature.

Deuxièmement, du point de vue physiologique,
il est certain que la nature est faite de telle façon que parfois,
chaque mois, il pourrait y avoir une fécondation.
Par conséquent, c'est déjà une indication.

Une femme qui n'a pas d'enfant, a-t-elle quelque chose en moins ?
C'est-à-dire, est-ce que la femme
qui est mère a des transformations physiologiques ou hormonales
qui en font vraiment quelqu'un de différent ?
Ou est-ce que toutes les deux sont des femmes ?

Sur le plan hormonal, non.
Mais sur le plan psychologique, peut-être.
Moi, je le crois.
Je respecte parfaitement toutes vos idées, il n'y a pas de question.
Mais je crois qu'il faut faire une très grosse différence
entre celles qui ne veulent pas avoir d'enfant
et celles qui ne peuvent pas avoir d'enfant.

Oui, bien sûr.

Justement, il y a ceux qui sont malheureuses,
celles qui ne peuvent pas, alors disons qu'elles sont inutiles.

Je dois vous dire que moi,
qui m'occupe en tant que gynécologue de couple stérile,
ce sont des femmes, et des hommes, et surtout des femmes,
à tel point qu'il faut être souvent très honnête pour ne pas leur imposer des examens
ou des interventions qui ne soient pas justifiées.
Elles feraient n'importe quoi.
Elles vous donneraient un pont d'or.
Elles feraient n'importe quoi, car elles ont ça dans le sang.

La vocation d'un être humain, c'est de choisir sa vie et son destin.
Et quand elle l'a choisi, elle est heureuse.

Oui, oui, c'est vrai.

Qu'est-ce que vous dites, ça, Anne ?

Je vais demander à Mlle Duchéron d'intervenir.
Mlle Duchéron dit...d'accord, on peut choisir.
Mais si on refuse l'enfant, il faut refuser aussi tout...

Il faut refuser aussi l'amour.

Mais c'est aberrant.

Non, c'est tout à fait différent.

Absolument.

Oui, madame, parce que l'enfant fait partie de l'amour.
Si vous prenez l'amour sans l'enfant,
vous avez un amour de seconde zone et de dernière qualité.

De quoi parlez-vous, madame ?

Mlle Duchéron, oui.

Très certainement.
Mais mettez-vous un peu à la place de ces malheureux maris.
Alors que leurs femmes leur refusent...

Mais elles ne refusent pas.

...refusent de satisfaire leur instinct de paternité,
comment voulez-vous qu'ils puissent continuer à aimer leurs femmes ?

Est-ce que ce sont des femmes qui sont incomplètes ou qui ont...

Ah, ce sont sûrement des femmes perturbées.

Que de femmes sont ravagées par des grossesses répétées et physiquement délabrées.
Ça, il faut le dire avec honnêteté.

Qu'est-ce que vous pensez quand même de la remarque du professeur Germain
qui dit qu'une femme qui ne veut pas d'enfant est une femme perturbée ?
Vous vous sentez perturbée ?

Mais absolument pas, je me sens d'autant moins perturbée que j'ai choisi.

Je ne dois pas être indiscret, mais quand même.

Est-ce que vous n'avez pas eu l'impression dans votre entourage
que vous avez été rejetée, mise au banc ?

Un quelqu'un d'à part, ça c'est certain.
Surtout justement vu mon âge,
parce que je ne suis pas loin derrière madame.
Et à l'époque, c'était vraiment quelque chose d'extraordinaire
que de vouloir être une femme sans être une mère.

Et pour reprendre les mêmes arguments,
il n'y a plus de femmes que d'hommes,
il y a plus de ceci et de cela.
Et je suis aussi d'accord avec madame.
C'est justement ce que je réclame, c'est que ça puisse être un choix.
Et pas une étiquette, la mère.
Et laissez-nous toutes, chacune,
autant que nous sommes, être un individu qui choisit.

Oui, je suis tout à fait de votre avis.
Et je pense que cette image de la femme
qui est essentiellement mère est excessivement mauvaise.
Parce que les femmes, peut-être pas les jeunes femmes de maintenant,
mais les femmes de notre âge, parce que je suis de votre âge aussi,
les femmes de notre âge ont été élevées presque exclusivement dans cette idée.

Tu te marieras, tu auras des enfants.
Il n'y avait pas de choix.
Et c'est ce choix justement que les femmes veulent.
Elles en font ce qu'elles en veulent après.
Elles en ont, elles en ont pas, elles en ont trois,
elles en ont quatre, elles en ont un,
comme elles veulent.
Mais c'est ce choix.

Et c'est justement cette image qu'il faut changer.
Et c'est excessivement dur pour une femme
qui n'a pas voulu ou qui n'a pas pu avoir d'enfant,
de s'imposer en tant que femme, justement,
qui est différente des autres.