法语助手
2025-11-17
J'ai eu une enfance de juif religieux, de juif orthodoxe,
qui allait à la synagogue quasiment tous les matins,
qui priait trois fois par jour,
qui avait une kippa sur la tête,
dehors dedans partout,
qui avait des tsitsit, qui étudiait le Talmud,
la Bible continuellement.
Et surtout, je voulais être rabbin.
Je voulais vraiment l'être, je me préparais à l'être.
Je donnais même des cours de religion dans...
Enfin, de commentaires bibliques dans ma synagogue.
Et j'étais très heureux dans cette perspective.
Et en fait, à la fin de mon lycée, juste avant de commencer...
Enfin, mes études rabbiniques, j'ai, entre guillemets,
je le dis en une phrase, mais j'ai perdu la foi,
tout s'est écroulé,
précisément par la découverte de la philosophie.
Et donc j'ai vraiment rompu totalement avec la religion,
pas avec le judaïsme, mais avec la religion,
et totalement, ça veut dire que j'ai tourné le dos à ma pratique,
j'ai perdu mes amis,
j'ai fait une sorte de nouvelle vie, de nouvelle naissance,
et je me suis lancé dans les études philosophiques,
dans la littérature, dans l'écriture.
Et donc, précisément, c'est ce que j'ai appelé
penser contre moi-même au sens extrêmement littéral
et au sens extrêmement incarné.
Si je vous écoute, finalement, penser contre soi-même,
c'est une éthique de vie ?
– Oui, c'est une éthique de vie, exactement.
Et cette éthique de vie,
c'est aussi que penser contre soi-même,
ça suppose, je pense très minimalement,
de pas être dogmatique.
De pas être dogmatique en philosophie
et de pas l'être dans sa vie.
D'être à l'écoute des autres,
de ne pas s'opposer de manière stérile et ferme à des discours,
d'écouter ces discours-là,
d'écouter leurs argumentations,
d'accepter parfois d'être fragilisé par les discours des autres,
d'être heurté.
Penser contre soi-même,
je dirais que c'est la définition même de la philosophie.
Et c'est un idéal qui est impossible à accomplir pleinement.
Et à mon avis, il faut l'assumer comme tel.
Ce qui signifie d'ailleurs,
c'est une bonne nouvelle pour la philosophie,
que personne ne peut réussir à philosopher vraiment.
Moi, je n'ai pas choisi de naître le 8 décembre 1997.
J'aurais pu naître 100 ans avant,
100 ans après ou bien plus tard.
Je n'ai pas choisi de naître en France.
Je n'ai pas choisi de naître dans telle ou telle famille, etc.
Et donc évidemment, ma naissance,
c'est ce qu'on appelle en philosophie l'être-jeté.
Je suis jeté dans le monde et jeté dans un point du monde.
Et le point par lequel je découvre le monde
est évidemment un point qui va véhiculer en moi
un certain nombre de préjugés,
de présupposés, de valeurs, de grandes idées
que je n'ai absolument pas choisies,
qui sont relatives et qui auraient pu être tout à fait différentes
si j'étais né en Inde il y a 800 ans.
Et donc à partir de là, la tâche de la philosophie,
la philosophie au sens entre guillemets professionnel du terme,
mais même au sens où tout le monde peut philosopher,
et je pense que la philosophie est une démarche universelle,
la tâche de la philosophie,
c'est d'essayer de faire en sorte
que sa pensée ne soit pas simplement l'épiphénomène
de sa propre naissance,
de sa propre incarnation
et de son propre soi-même.
Donc c'est une expérience d'altérité.
Ça suppose de s'intéresser aux pensées des autres,
de s'intéresser avec curiosité,
de s'intéresser, me semble-t-il, aussi avec scepticisme,
avec une forme de doute.
Penser contre soi-même, c'est un travail de tous les jours.
C'est une tâche quotidienne.
Ça suppose de ne jamais vouloir bloquer, figer sa pensée,
de ne jamais la transformer en dogme,
de ne jamais la transformer en doctrine,
de ne jamais la transformer en religion,
mais d'essayer toujours de faire en sorte que
la pensée soit dans un rapport de négation de soi-à-soi.
Et donc cette tâche-là,
qui est une tâche à la fois extrêmement dure et en fait extrêmement violente,
ça suppose d'avoir un rapport de violence intellectuelle,
en tout cas par rapport à soi-même,
et de ne jamais s'asseoir, de ne jamais se complaire.
Quand on débat avec quelqu'un,
quand on discute avec quelqu'un,
est-ce que le but est d'avoir raison,
d'écraser mon adversaire, de le torpiller,
de me dire
« voilà, je l'ai éclaté et je lui ai montré qu'il avait complètement tort »
sur le modèle presque du combat de boxe ?
Ou est-ce que le but est d'essayer de se rapprocher ensemble,
à deux, de quelque chose qui s'apparenterait entre guillemets,
sinon à la vérité, du moins, à une pensée qui soit
la plus construite, la plus complexe, la plus fiable, la plus à l'image
de ce qu'on essaye de penser ?
Et ça, ça suppose, à un moment, au milieu du débat,
à un moment de sa vie, de pouvoir dire
« bah écoutez, non, j'ai tort, tu as raison, ton argument gagne. »
J'observe personnellement que je vois rarement cela sur les réseaux sociaux.
Qu'il y a des exceptions,
mais que j'ai l'impression que ce n'est pas tellement
ce qui est valorisé dans les espaces de discussion,
notamment au sens politique du terme,
qu'on observe sur les réseaux.
Les réseaux sociaux, et plus largement la révolution numérique,
peuvent avoir comme effet,
on reviendra peut-être sur les effets positifs de cette révolution numérique,
mais peuvent avoir comme effet extrêmement dangereux,
de mettre en péril la démarche de penser contre soi-même,
avec ce fameux effet notamment
de ce qu'on appelle la bulle de filtre.
Ça veut dire quand je vais sur Twitter,
quand je vais sur Facebook,
quand je vais sur Instagram,
le fil d'actualité qu'on va me montrer
est un fil d'actualité qui est personnalisé.
Alors naturellement, en fonction des pages que je suis,
et souvent les pages que je suis,
par exemple pour les pages d'actualité,
correspondent à des médias
dont j'ai envie de voir le contenu,
donc des médias avec lesquels je suis plutôt d'accord,
correspondent avec les pages de ce que vont écrire mes amis.
Et c'est vrai que je peux avoir tendance à
avoir des amis qui vont avoir des affinités
intellectuelles, idéologiques, culturelles avec moi.
Et puis aussi, l'algorithme, ça dépend des réseaux,
mais l'algorithme peut repérer les contenus
sur lesquels je vais passer de plus en plus de temps,
les contenus qui m'intéressent plus ou moins, etc.
Ce qui fait qu'à la fin des fins,
quand j'ouvre mon fil d'actualité,
par exemple pour savoir ce qui s'est passé dans les 24 dernières heures sur Twitter,
je ne vais voir du réel que ce que je veux en voir.
À partir du moment où je vais avoir comme rapport aux réseaux sociaux,
de me dire que ce que j'attends d'eux,
ce n'est pas qu'ils m'informent,
au risque d'ailleurs d'aller contre mes idées, de m'étonner, de me choquer, etc.
Mais ce que je veux,
c'est qu'ils viennent confirmer ce que j'attends déjà de voir,
qu'ils viennent confirmer la préidée
que je me fais du réel et de ce qui se passe dans le monde.
Là où c'est dangereux,
c'est que nous assistons à un morcellement du réel.
Est-ce qu'il n'y a pas une difficulté supplémentaire aujourd'hui
sur la mise en avant des valeurs, de l'engagement ?
C'est-à-dire que c'est difficile
de penser contre soi à partir du moment où on dit
qu'il y a des valeurs objectives et que du coup,
si on conteste ces valeurs-là,
si on pense contre soi-même,
ça veut dire qu'en fait on n'a plus de valeur.
Oui, c'est cette phrase qu'on entend souvent
des gens qui disent « j'ai mes valeurs ».
Et en disant ça, ils disent le contraire de ce qu'ils veulent dire.
Parce que quand on dit « j'ai mes valeurs »,
ça supposerait qu'il y ait des choses,
des idées, des principes, ce qu'on entend par là,
des idées, des principes qui seraient transcendants,
qui seraient au-dessus de moi
et qui seraient effectifs,
comme ça, qui pourraient régir toute mon existence.
Et en même temps, parce qu'ils seraient absolus.
Et en même temps, quand on dit « j'ai mes valeurs »,
évidemment, c'est la grande question de Nietzsche,
quelle est la valeur de mes valeurs ?
Et évidemment que la valeur,
c'est toujours quelque chose à quoi moi j'ai donné de la valeur.
Ou nous, collectivement, une époque,
une société, un milieu social,
nous avons donné de la valeur à ceci ou cela.
Si je tiens le beau pour une valeur,
si je tiens le vrai pour une valeur,
si je tiens d'ailleurs l'amour pour une valeur,
tout ça ne sont absolument pas des principes absolus,
mais ce sont des choses dans lesquelles moi j'ai décidé
d'accorder, de prêter précisément une valeur,
au sens presque marchand du terme.
Et donc en effet, cette notion de valeur, me semble-t-il,
est absolument incompatible avec la pensée,
avec le travail de la pensée.
Le travail de la pensée, moi je le définirais
comme précisément une pensée
qui ne se soucie pas des valeurs.
Et qui ne se soucie pas ni des valeurs,
ni d'ailleurs des visions du monde, qui essayent d'avancer.
Alors, ça ne veut pas dire d'être dans une posture adolescente,
de dire « je vais briser toutes les idoles,
moi j'ai aucune valeur ».
Dire qu'on n'a aucune valeur,
c'est déjà aussi affirmer une valeur,
une valeur inversée,
mais c'est aussi une valeur.
Mais en revanche, penser sans se soucier de la valeur,
et des valeurs qu'on aimerait avoir.
Parce qu'évidemment que les valeurs,
elles orientent la pensée,
elles orientent la réflexion.
Donc je pense qu'il faut absolument
se méfier des valeurs et que les gens qui disent
qu'il faut défendre les valeurs ne comprennent même pas ce qu'ils disent.
Et qu'en fait, dire ça, c'est presque l'inverse
de ce qu'on croit dire.
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